Définancer la police au profit des intervenants sociaux

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Par Nicoleta Stoodley
vendredi 27 novembre 2020
Définancer la police au profit des intervenants sociaux
Le 7 novembre 2020, près de 500 personnes se sont réunies dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce pour dénoncer le meurtre de Sheffield Matthews et manifester contre la violence policière et le racisme systémique dans les services de police.
Le 7 novembre 2020, près de 500 personnes se sont réunies dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce pour dénoncer le meurtre de Sheffield Matthews et manifester contre la violence policière et le racisme systémique dans les services de police.

Depuis les manifestations du mouvement Black Lives Matters de juin dernier, à la suite de la mort de George Floyd, les revendications en faveur du définancement de la police gagnent en popularité. L’idée a fait son chemin jusqu’au Québec, ou plusieurs organismes adhèrent au mouvement.

Au cours des 10 dernières années, le budget du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) est passé de 550 à 665 millions de dollars, une hausse de 33 %. « Il y a quelques années, le choix a été fait que la police s’occuperait de toutes les situations sociales, ce qui explique l’augmentation de son financement », développe le professeur agrégé à l’École de criminologie de l’UdeM Rémi Boivin.

La coordonnatrice du projet Native Women’s Shelter, Jessica Quijano, précise que la Coalition pour le définancement de la police demande une réduction de 50 % du budget alloué au SPVM. Elle souhaiterait voir cette somme réinvestie dans les communautés marginalisées.

Selon elle, cette réduction du budget de la SPVM ne serait pas synonyme d’augmentation du taux de crime dans la municipalité. « Il y a 3 000 personnes itinérantes à Montréal et il y a une grande surveillance des quartiers qu’ils occupent, précise-t-elle. Leur fournir un logement ou les loger dans une chambre d’hôtel pourrait réduire le taux de crimes, car la majorité des crimes commis sont liés à la pauvreté. »

Situations urgentes ou non urgentes

Mme Quijano explique que la police ne devrait pas être la première ressource lors d’une situation de crise. « Si un vendeur de drogues est positionné dans un quartier avec condos, au lieu d’appeler la police, il serait suggéré d’envoyer un travailleur de rue, qui pourrait évaluer la situation, parler avec l’individu et intervenir d’une tout autre manière que la police aurait tendance à le faire », ajoute-t-elle.

M. Boivin affirme qu’il est nécessaire de faire la différence et d’adapter l’intervention en fonction de l’urgence de la situation. « Lorsque des coups de feu sont tirés, la question ne se pose pas, l’intervention des policiers est nécessaire, admet-il. Toutefois, la présence récurrente et quotidienne d’une personne itinérante devant un commerce ne requiert pas l’intervention policière, mais celle d’un travailleur. »

L’étudiant en criminologie à l’UdeM Karl Beaulieu, qui a publié une lettre ouverte dans La Presse sur le définancement de la police, rappelle qu’il existe déjà des experts communautaires formés pour aider les personnes marginalisées, et ce, grâce à une approche empathique. Il considère ces mécanismes absents des corps de police actuels. « Les experts sont présents, ils ont été formés et scolarisés pendant plusieurs années, ils sont prêts à répondre aux situations de crise, assure celui qui a également été intervenant communautaire. Tout ce qui manque, c’est que le financement soit dirigé vers ces spécialistes. »

Quelques initiatives déjà en place

Le doctorant en criminologie à l’UdeM Alexis Marcoux Rouleau rappelle qu’il existe déjà quelques initiatives en place, à l’image de celle de corps policiers qui greffent des travailleurs sociaux à leurs effectifs, comme à Saint-Eustache ou à Longueuil.

Dans des situations de crises psychiatriques, au lieu d’appeler le 911, il est présentement possible d’appeler le 211 à Montréal pour avoir une intervention de la part de spécialistes en santé mentale, sans celle de la police.

Alexis maintient néanmoins que repenser le rôle de la police et sa position au sein de la société est nécessaire. « Il faudrait retirer la police des programmes de militarisation, avance-t-il. Sinon, la réduction de la taille du corps policier est une piste à explorer. »

Un mouvement au spectre large

Selon Karl, le mouvement en faveur du définancement de la police s’étend sur un large spectre. Certains croient qu’une partie du budget devrait être dirigé aux organisations communautaires, d’autres demandent l’abolition de la police.

C’est le cas du projet Native Women’s Shelter. Si l’organisme milite actuellement pour réduire le budget de la police et le rediriger vers les organismes communautaires, l’objectif final est de l’abolir.« Nous, ce que nous voulons, c’est le désarmement immédiat de la police, explique Mme Quijano. En lui enlevant toutes ses fonctions, c’est comme si la police n’était plus la police, mais plutôt une équipe d’intervenants, de travailleurs communautaires et de travailleurs de rue, qui auraient une tout autre approche que la violence. »

Mme Quijano ajoute que la perspective d’abolition qu’adopte son organisme ne s’arrête pas à la police, mais concerne également le milieu carcéral. « Ces institutions sont extrêmement violentes envers les personnes autochtones et noires », affirme-t-elle. Elle reste lucide et reconnait que l’abolition de ces services n’arrivera pas du jour au lendemain. Elle maintient que c’est en comblant les besoins fondamentaux de tous que la violence finira par diminuer.