Décroître d’hier à aujourd’hui

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Par Chloé Dioré de Périgny
vendredi 16 novembre 2018
Décroître d’hier à aujourd’hui
Le chercheur au CIRAIG Pascal Lesage dit être à court de solutions. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
Le chercheur au CIRAIG Pascal Lesage dit être à court de solutions. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
En 2004, Quartier Libre interrogeait un économiste et un chercheur sur la décroissance* comme solution aux problèmes environnementaux. Si leurs points de vue demeurent opposés, tous deux considèrent aujourd’hui qu’il s’agit d’une idéologie difficile à appliquer.

Il y a 14 ans, le chercheur au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), Pascal Lesage, était confiant que l’on puisse redéfinir notre mode de vie autrement que par la production et la consommation de biens. Selon lui, la décroissance était nécessaire dans les pays occidentaux. « Une croissance à l’infini n’a aucun sens dans un environnement où les ressources sont finies », affirmait-il à l’époque.

Aujourd’hui, s’il croit encore fermement à cette idéologie, il doute toutefois que l’humanité soit prête à mettre en marche un changement aussi drastique. « On a de plus en plus de preuves tangibles que l’on produit plus que ce que la planète peut supporter, se désole-t-il. Pourtant, plus on consomme, plus on a l’impression que tout va bien. »

Pour l’ancien professeur d’économie à l’UdeM Claude Montmarquette, la décroissance était déjà une réponse déraisonnable et inconsciente aux problématiques environnementales en 2004. Aujourd’hui, il en est encore plus convaincu.

Selon lui, cette théorie est dysfonctionnelle, car il estime que la seule façon de réduire substantiellement la croissance est d’arrêter de travailler. « Tout le monde n’est pas prêt à avoir moins d’argent, ironise-t-il. Chaque individu voudra continuer à vivre dans son confort, en laissant les autres sauver la planète. »

Changer les choses

Si les sociétés sont plus sensibilisées aux questions environnementales qu’en 2004, M. Lesage considère que les initiatives prises à l’échelle gouvernementale sont limitées. Il donne l’exemple de la taxe carbone, qu’il juge trop faible pour compenser la quantité de dioxyde de carbone (CO2) que l’on rejette dans l’atmosphère et que la planète peut absorber. « On dépasse, en connaissance de cause, ce que la planète est capable de fournir, car politiquement parlant, on ne peut pas stopper la production dès que les ressources de la planète pour l’année sont épuisées », déplore M. Lesage.

M. Montmarquette croit plutôt qu’au lieu de dramatiser la situation et d’essayer de revenir en arrière, il faut accepter la situation, prendre conscience du risque et trouver des solutions concrètes. Il soutient du même souffle que de gros efforts ont déjà été faits pour limiter l’épuisement des ressources dans la production. « Le niveau de pollution par unité produite et par individu n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui », affirme-t-il.

Selon l’ancien professeur d’économie, la meilleure façon de faire changer les gens est de prendre des mesures ayant un effet direct sur leur portefeuille. « Dire aux gens d’arrêter de rouler en voiture ne fonctionnera pas, rappelle-t-il. Baisser le prix des voitures électriques, par contre, motivera les consommateurs à moins polluer. »

À l’opposé, le chercheur Pascal Lesage doute que les initiatives prises à l’échelle individuelle soient suffisantes pour changer la donne, même si elles constituent un pas dans la bonne direction. « Est-ce que la planète pourrait supporter sept milliards d’individus qui ont un smartphone, une auto, et qui prennent l’avion plusieurs fois par année, si derrière ils trient leurs déchets et consomment moins ? Je ne pense pas, non », nuance le chercheur.

Pour la suite

« Seule la décroissance pourrait nous sauver, mais on n’est pas prêt, regrette M. Lesage. Je n’ai plus de solution. » Le chercheur garde tout de même espoir que la sévérité de la situation amènera la société à changer. Mais du point de vue tant personnel que collectif, il se demande quelle étincelle permettra ce basculement.

Pour M. Montmarquette, la seule solution réaliste est de faire basculer la production vers les produits durables. Selon lui, il faut que les gouvernements investissent dans la recherche pour rendre ces nouveaux marchés accessibles à tous. « On dispose aujourd’hui de tous les moyens possibles pour innover », s’exclame-t-il. Il estime possible de conserver la croissance, tout en limitant son effet.

* Selon l’Office québécois de la langue française, la décroissance est une idéologie prônant la diminution de la croissance économique comme solution aux divers problèmes sociaux et environnementaux.

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