Les porte-paroles de Devoir environnemental collectif (DEC), la branche cégep du mouvement pour le climat, Lylou Sehili et Tristan Pérez, affirment que les jeunes n’ont pas marché seuls pour le climat le 27 septembre dernier. « De nombreux groupes sociaux ne se sont pas présentés sur leur lieu de travail ce vendredi et ont préféré marcher avec nous pour le climat », se félicitent les jeunes activistes.
Selon les organisateurs, près de 500 000 participants ont fait la grève ce vendredi pour manifester. Parmi eux des étudiants, mais aussi des travailleurs, des syndicats, des enseignants, des groupes communautaires, du personnel de la santé, des commerçants, des groupes écologistes, des citoyens et citoyennes, des jeunes et des moins jeunes.
Un sentiment d’urgence
Pour l’un des membres fondateurs du collectif La Planète s’invite à l’Université de Montréal (LPSUdeM), Jérôme Millette, c’est avant tout le sentiment d’urgence qui pousse les Québécois à se mobiliser. « Les gens réalisent progressivement qu’ils sont directement concernés par cet enjeu-là et que c’est beaucoup plus pressant que ce qu’ils pensaient », constate-t-il.
Il ajoute que le mouvement a profité d’un concours de circonstances favorables pour se développer, avec notamment l’essor du phénomène Greta Thunberg, qui a ramené la question climatique au centre des débats publics. « Le mouvement est arrivé au bon moment, concède-t-il. Il y a eu l’appel de grève mondiale de Greta en mars dernier, nous nous sommes rassemblés et avons décidé de répondre à cet appel. »
La professeure au Département de science politique de l’UdeM et spécialiste des mouvements sociaux et de l’action collective Pascale Dufour note que la cause climatique est généralement bien acceptée socialement, à l’inverse de précédents combats menés par les étudiants. « Le rapport au pouvoir politique est beaucoup moins confrontant qu’il a pu l’être par le passé, en tout cas pour le moment, explique Mme Dufour. On le voit dans les nombreuses institutions telles que les municipalités ou les universités, qui se déclarent du côté des manifestants. » Le mouvement bénéficie d’un soutien généralisé sans précédent. « Globalement, il y a une espèce de consensus en faveur des manifestations pour le climat, avance-t-elle. Pour un mouvement social, en tout cas, c’est particulier. »
La jeunesse à l’avant-plan
Un autre aspect inédit dans la mobilisation citoyenne pour le climat est le rôle prépondérant de la jeunesse, poursuit l’experte des mouvements sociaux. « La contestation dans les écoles secondaires existait déjà, mais sortait rarement de l’enceinte de l’école, souligne-t-elle. Le fait que ça sorte et qu’il y ait beaucoup d’alliés, c’est nouveau. »
Selon Tristan, cette forte mobilisation des jeunes profite au mouvement, car ces derniers bénéficient d’une couverture médiatique plus importante. Ils ont également une influence directe dans leurs familles. « Les jeunes transmettent le message dans leurs ménages, leurs maisons, explique-t-il. Leurs parents le partagent ensuite dans leur milieu de travail, et ainsi de suite. Au final, notre portée est immense. »
Un mouvement décentralisé
En plus des raisons relatives à la cause, Lylou et Tristan soulignent que la structure du mouvement environnemental québécois et son inclusion ont contribué à son succès. Des associations pour le climat existent désormais dans presque chaque institution scolaire, groupe communautaire ou domaine professionnel. Elles se joignent aux organisations transversales telles que Le Pacte et La Planète s’invite au Parlement, ainsi qu’à l’ONG internationale Greenpeace ou au mouvement Extinction Rébellion. Les activistes ajoutent qu’il est facile de créer sa propre association grâce à la plateforme en ligne laplanetesinvite.org, qui met à disposition de nombreuses ressources informatives.
Ensemble, ces groupes forment depuis le 30 août dernier une coalition qui est à l’origine de la grève du 27 septembre. « Le but est d’avoir un mouvement décentralisé, avec des gens de tous les milieux sociaux, de tous les domaines, parce que plus on est nombreux, plus on a de ressources, développe Lylou. Chacun s’occupe de mobiliser les gens dans son domaine. »
Communication et sensibilisation
Selon Jérôme Millette, le succès du mouvement est lié à une forte communication extérieure pour sensibiliser à l’urgence climatique. « Nous faisons des comités de presse, contactons les médias, répondons à des interviews, nous sommes hyperactifs sur les réseaux sociaux, résume-t-il. Nous menons également régulièrement des actions de sensibilisation sur le campus et organisons des conférences. »
Terre de manifestation
Pour Pascale Dufour, si les associations étudiantes sont au premier plan de toutes les contestations sociales au Québec ces
dernières décennies, c’est parce qu’elles disposent de budgets considérables. « Depuis la loi d’accréditation et de financement des associations étudiantes de 1983, les associations étudiantes québécoises jouissent de moyens financiers énormes, comparé à d’autres organisations étudiantes dans le monde et au Canada », indique la professeure.
La ville de Montréal est connue pour avoir été le théâtre de plusieurs manifestations de grandes envergures par le passé : pour la défense de la langue française dans les années 1970, contre la mondialisation en 1998, contre la guerre en Iraq en 2003, puis dans le cadre des grèves étudiantes de 2005 et 2012. Y aurait-il une culture de la manifestation propre à Montréal ? Pascale Dufour ne s’avance pas jusque-là, mais note toutefois une normalisation certaine de la manifestation depuis les années 2000.