Professeur au Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR, Emmanuel Milot dirigera le futur programme de DESS en science forensique de son université. Cette initiative fait suite à un programme de premier cycle instauré il y a cinq ans. « Depuis 2012, on a un baccalauréat en chimie, profil criminalistique, explique-t-il. Ça fait quelques années qu’on veut explorer cette niche au Québec, où il y a un potentiel très fort. »
Cet intérêt accru pour les sciences judiciaires à l’UQTR se manifeste dans la foulée d’une hausse de la demande pour les expertises scientifiques leur étant liées, selon M. Milot. « La science prend de plus en plus de place dans les enquêtes criminelles », rappelle-t-il.
Démarrage retardé
Initialement prévu pour cet automne, le lancement du programme de l’UQTR a été retardé en raison de la diversité des candidatures reçues. « On pensait que le DESS allait principalement intéresser les anciens et les finissants du baccalauréat en chimie, mais la demande a été beaucoup plus variée, expose M. Milot. Des professionnels de partout à travers le Québec ont manifesté leur intérêt, dont beaucoup de policiers et d’enquêteurs. » La mise en place du programme à temps plein a donc représenté un défi de logistique qui explique ce retard, ajoute-t-il.
La science forensique nécessite toutefois une philosophie différente des autres pratiques scientifiques et c’est la nécessité d’avoir des cours adaptés qui a poussé M. Milot à développer le DESS. « Généralement, la science nous fait partir d’une observation particulière pour en dégager une tendance plus générale, affirme-t-il. En science forensique, on veut aider les étudiants à utiliser un vaste bagage théorique pour leur permettre d’atteindre ou de reconstituer un événement précis. »
M. Milot affirme que l’analyse d’une scène de crime nécessite une formation particulière, qui n‘était pas offerte dans les autres universités du Québec. « Il existe des cours un peu partout qui abordent certains aspects, mais on voulait concentrer cette démarche particulière au sein d’un seul programme », observe-t-il.
La popularité des séries
L’arrivée de séries télévisées, comme Dexter ou NCIS, qui mettent en scène la profession, a été un élément déclencheur pour Vincent Mousseau, étudiant à la maîtrise en criminologie, option criminalistique et information, à l’UdeM. « Je ne me serais sûrement jamais dirigé vers cette discipline si je ne l’avais pas découverte à la télévision », admet-il. Il estime que l’intérêt des médias et les nombreux reportages, à l’émission Découvertes par exemple, a permis de rendre la discipline plus accessible.
Cette nouvelle popularité de la science forensique s’accompagne d’aspects plus négatifs, avertit Vincent. « Pour regarnir les rangs de leurs programmes de chimie et de biologie, certaines universités à l’étranger ont été opportunistes et ont seulement ajouté le mot “ forensic ” dans le titre de leurs programmes, sans avoir un réel intérêt pour la discipline », assure-t-il. Ces méthodes ont entraîné des critiques de la part de la communauté scientifique et des employeurs potentiels, comme au RoyaumeUni et aux ÉtatsUnis, selon l’étudiant.
Un processus complexe
Désormais retraité, François Julien a été spécialiste en biologie au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, seul laboratoire de ce genre au Québec. « C’est l’ensemble des disciplines scientifiques qui est maintenant appelé à intervenir dans le processus d’une enquête criminelle », informe-t-il.
Après avoir effectué de nombreuses années d’études dans le domaine de la science forensique, Vincent estime que la réalité est assez éloignée de ce que dépeignent les séries télévisées. « La fiction de type CSI présente la criminalistique comme une superscience à toute épreuve qui est utilisée sur chaque délit commis et qui mène toujours à identifier le coupable, décrit-il. Dans la réalité, la science forensique n’est pas utilisée dans tous les cas où il y a intervention de la police. Elle est parfois infructueuse en raison de la qualité des traces retrouvées et elle n’est pas infaillible. »
M. Julien étudiait principalement les taches et les projections de sang trouvées sur les scènes de crime. L’ampleur du personnel scientifique impliqué dans une enquête est souvent assez imposant, souligne le retraité. « On a des ingénieurs qui font de la balistique, des biologistes en analyse d’ADN, des chimistes qui analysent les taches et des informaticiens depuis quelques années, énumère-t-il. C’est un processus beaucoup plus long et complexe que ce que la télévision pourrait laisser croire. »
Dans ce domaine, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus, met en garde M. Julien. Selon lui, les œuvres de fiction liées à ce métier donnent à penser qu’il s’agit généralement d’un processus simple, rapide et efficace.