On présente souvent Détroit comme un mourant dont on a débranché le respirateur mais qui tarde à rendre l’âme. Et si la principale ville du Michigan se relevait peu à peu ? Et si sa résurrection passait par une cure de jeunesse riche en fibres vertes? Portrait de Détroit, conjugué au passé, présent et futur.
De l’âge d’or à l’âge de ruines
Détroit a déjà été hot. Dans les années 1950, la ville était la quatrième plus grosse métropole des États-Unis et les usines automobiles tournaient à plein régime, ce qui vaut à la ville le surnom de Motown (contraction de Motor Town). Les élites pensaient même y organiser les prochains Jeux olympiques. Et puis, un sortilège s’est abattu sur la cité maudite. Les émeutes raciales de 1967 ont fait fuir les Blancs de la classe moyenne en banlieue et la descente aux enfers de l’industrie automobile américaine dans les années 1980 a fait mal aux Big Three. Ford, Chrysler et General Motors ont ensuite délocalisé leur production en Asie. Récemment, la crise des subprimes est venue couronner le déclin déjà bien entamé de la ville. En une demi-décennie, Détroit est devenue un enchevêtrement de terrains vagues, de friches industrielles et d’autoroutes où les supermarchés sont inexistants et les dépanneurs sont surnommés stab and grab («poignarde et prends»). La ville, classée comme l’une des plus dangereuses des États-Unis, enregistre aujourd’hui un taux de chômage qui avoisine les 50 %.
Repeupler détroit
François Jacob a été l’assistant-réalisateur de Florent Tillon sur le documentaire Détroit ville sauvage. Pendant quatre mois passés sur place en 2009, l’équipe a suivi en direct l’effondrement de General Motors et la mort de Michael Jackson, le petit gars de Motown. Sillonnant la ville à vélo et squattant à droite à gauche, les cinéastes ont rencontré et filmé les résidants.
Quartier Libre : La ville est-elle aussi fantôme qu’on le prétend?
François Jacob : Attention! Oui, la ville est en situation de faillite et il reste seulement 20 % de l’activité qu’il y avait avant. Mais Détroit reste une grosse ville. Il y a autant d’activité qu’à Ottawa, mais dispersée sur un terrain dix fois plus grand. La ville est immense et c’est bien là le problème [NDLR: Détroit est plus vaste que les villes de San Francisco, Boston et Manhattan réunies]. Il y a un énorme réseau d’infrastructures à entretenir, de même que les routes et les transports en commun, tout ça avec une population et des revenus de taxes en chute libre. C’est fascinant, les gens roulent à 100 à l’heure sur des autoroutes avec de l’herbe et des nids-depoule!
Q. L. : En 50 ans, Détroit est passée de 2millions à 900000 habitants. Qui ose s’y installer aujourd’hui ?
F. J. : C’est clair qu’avec la réputation de la ville, il faut avoir une bonne raison pour venir ! Il y a des gens qui refont leur vie làbas. On a rencontré un photographe qui galérait à New York où la concurrence est rude. À Détroit, il gagne bien sa vie et il a un loft gigantesque dans un immeuble Art déco des années 1920.
La ville attire surtout des indépendants, particulièrement les micro-entrepreneurs, les blogueurs, les journalistes et les artistes. Il y a des maisons immenses transformées en ateliers ou en studios d’enregistrement. Comme il n’y a pas de circulation aux alentours, les conditions de son sont bonnes et on peut faire des barbecues à l’extérieur. Pour faire la fête, c’est génial. Les maisons ont d’immenses jardins. Tu ne te retrouves pas à trente dans un 4 ½ avec les voisins qui râlent et les policiers qui arrivent passé minuit.
Détroit est aussi une ville séduisante pour les jeunes qui veulent faire un retour à la terre sans perdre la ville. Ils considèrent Détroit comme une ville à la campagne où il fait bon vivre, où les loyers sont bas et où il y a de l’espace.
Q. L. : Il paraît qu’à Détroit, on peut acheter une belle maison pour 5000 $?
F. J. : Oui, il y a même des agences immobilières qui proposent des maisons à 1 $ si on s’engage à les retaper ! Des gens quittent la ville et donnent leur maison à une association qui la revend, sous condition que vous agissiez en bon propriétaire et que vous contribuiez à redorer la vie de quartier. Du coup, en vivant dans leurs nouvelles bâtisses, les gens deviennent des bricoleurs ou des fermiers. Il y a une concentration incroyable de gens entreprenants, dynamiques et innovateurs. Ils ne rêvent pas d’intégrer une grosse entreprise, mais ils créent plutôt leur propre univers. Ils sont fascinants.
C’est sûr qu’il faut avoir un esprit de survivant pour aller vivre à Détroit, mais en même temps, c’est un milieu hyperstimulant !
De Motown à FarmVille
« Ils ont arrêté de cultiver la terre pour faire des voitures. Maintenant, ils ne peuvent pas les manger, donc peut-être qu’ils créeront à nouveau des fermes», dit, dans le documentaire Détroit ville sauvage, un vieux rasta qui cultive ses légumes aussi bien que son sens de l’humour. Il est membre de The Greening of Detroit, une association qui soutient l’exploitation de plus de 1200 potagers individuels pour promouvoir la culture de produits locaux auprès des communautés.
Depuis plusieurs années, ces micropotagers fleurissent sur les terrains vagues de Détroit. Certains investisseurs ont rapidement flairé le potentiel de la ville qui compte plus de 100 kilomètres carrés de terrains en friche, soit environ 30 % de sa surface totale (l’équivalent de la surface d’une ville comme San Francisco). John Hantz, un des derniers grands financiers de la ville, a la folie des grandeurs. Il y a trois ans, il a imaginé la création de Hantz Farm, la plus grande ferme urbaine du monde, au coeur de la cité. Exit tracteurs, on parle ici d’une ferme ultramoderne, alliant les technologies les plus avancées en matière d’agriculture avec notamment des serres chauffées au compost et des cultures hors-sol.
L’ambition est noble : permettre à Détroit de produire sa propre nourriture et éviter ainsi la dépendance des grandes villes modernes aux transports de denrées. Le tout aurait également l’avantage de créer des emplois pour la population locale.
Mais le projet compte aussi ses détracteurs. Certains y voient une démarche purement spéculative, tandis que d’autres s’interrogent sur sa rentabilité, son impact écologique et ses retombées pour les résidants. « Leur idée est d’aller chercher des criminels dans les prisons et de leur donner des jobs à 6 $/h pour travailler dans les champs 12 heures par jour. C’est ça, pour eux, l’intégration sociale », dit l’assistant-réalisateur François Jacob.
Pour l’heure, le projet est dans les cartons car la compagnie n’a pas encore obtenu l’autorisation d’acheter de larges portions de terrains publics afin d’y développer une agriculture commerciale. Mais si John Hantz réussit son coup, Détroit redeviendra sûrement un grand centre d’attraction.