Culture

isabelle Anguita à l’oeuvre dans son atelier (Crédit photo : Charlotte Biron)

De l’art au pied carré

Au bout du tronçon de la rue Saint-Viateur Est, la rue de Gaspé surgit comme une balafre grise. Sept terrains de football et demi de vie culturelle se nichent dans ces anciennes manufactures de textile délabrées. Au sein de ces blocs gris, la concentration exceptionnelle de peintres, de sérigraphes, de photographes, de designers, d’ébénistes, de réalisateurs et d’artistes en tous genres participe au pouvoir d’attraction du Mile-End,mais pour combien de temps encore?

isabelle Anguita à l’oeuvre dans son atelier (Crédit photo : Charlotte Biron)

Depuis juin 2011, des artistes sont sommés de quitter leurs locaux au 5455, rue de Gaspé, acheté par un fonds de placement immobilier torontois, Allied Properties. «C’est un secteur très intéressant, parce qu’il attire le genre de locataires que nous privilégions : des travailleurs hautement qualifiés, diplômés, qui sont dans des domaines de pointe tels le marketing et le développement de logiciels», expliquait Michael Emory, le PDG de la compagnie, dans un entretien publié en juillet dans le magazine Les affaires.
Attirée par la synergie du quartier, les grandes fenêtres, les très hauts plafonds, les planchers de béton et les nombreuses places de stationnement, Allied Properties a entamé des rénovations au 11e étage du 5455, que les artistes sont forcés de quitter. Cette éviction inquiète les autres locataires. «C’est le troisième propriétaire en 10 ans. L’ancien propriétaire, Cancorp, avait fait la même chose avec le 8e étage. On ne peut pas faire grand-chose pour les créateurs délogés du 11e. On espère pouvoir négocier avec le nouveau propriétaire afin de collaborer, mais ça nous complique la tâche qu’Allied soit basée à Toronto», raconte Yann Pocreau, coordonnateur au Centre Clark, lui aussi locataire du 5455 de Gaspé.
Comme pour les locaux du 11e étage, le bail du Centre Clark arrive à son terme en décembre. Allied n’a pas encore répondu à la demande de renouvellement.

L’immeuble de la rue saint-Viateur Est que des artistes sont sommés de quitter (Crédit photo : Charlotte Biron)

Prendre des mesures

Pour défendre les 30 % de superficie occupés par les artistes dans l’ancienne fabrique de textiles, Pi2, un organisme à but non lucratif rassemblant des artistes du secteur Saint-Viateur Est, a tenu une conférence de presse le 24 octobre dernier. Le regroupement veut l’aide des gouvernements pour préserver l’effervescence artistique dans le quartier convoité.
Les artistes souhaitent accélérer la mise en place de solutions pour pérenniser leur établissement dans le secteur. Sans poser d’actions concrètes encore, la ville de Montréal a promis son soutien à l’organisme Pi2.

Tous s’entendent pour dire qu’ils voudraient le soutien d’Allied. Pi2 oeuvre toutefois pour qu’à long terme, les ateliers loués par les créateurs soient protégés légalement. La sécurisation des zones de travail pourrait assurer la survie de cet univers fertile du Mile-End. «Les baux ne sont régis par quoi que ce soit. C’est un contrat d’affaires. Le bail des artistes du 11e étage n’a pas été renouvelé, ils partent, c’est tout, expose l’artiste peintre et membre du conseil d’administration de Pi2, Isabelle Anguita. Comme solution, on pourrait limiter l’augmentation des loyers dans certaines zones qui seraient réservées à la production artistique.» Les artistes sont unanimes : les conséquences à court terme sur les évincés sont catastrophiques, et risquent, à long terme, de scalper la vie artistique du Mile-End, âme du quartier.
Isabelle Anguita croit que le travail collectif portera fruit. «Tout a commencé parce que je me suis dit que je ne voulais pas faire de l’art toute seule dans mon coin», rappelle-t-elle.

Au-delà de cette limite votre bail n’est plus valable

Périphéria, les Rencontres internationales du documentaire à Montréal (RIDM) et Cinema Politica forment un trio de colocataires au 11e étage du 5455, rue de Gaspé, dans le secteur artistique Saint-Viateur Est.
L’arrivée du nouveau propriétaire, Allied Properties, force les trois groupes de créateurs du cinéma à déménager.
Le nouveau propriétaire leur avait pourtant promis qu’ils n’auraient pas à quitter leurs locaux. L’année dernière, les RIDM et Périphéria ont même investi 10000 $ dans l’aménagement de leurs bureaux de travail au 5455, de Gaspé. Le revirement d’Allied les prend de court, et la somme investie en rénovations est irrécupérable. « C’est énorme pour nous», lance Hany Ouichou, producteur pour Périphéria.
Le 11e étage comptait évidemment plus de trois locataires. « Les autres artistes du 11e étage ont déjà quitté. On partira probablement dans peu de temps, on ne sait pas où, poursuit-il. On voudrait au moins essayer d’avoir des indemnités, mais je reste sceptique», conclu Hany Ouichou.

Centre Clark

Dans l’écosystème unique de Saint-Viateur Est, le Centre Clark agit comme liant, comme un véritable pôle de création qui nourrit le partage de compétences. «Pour le travail du bois, Clark met à la disposition des artistes tout un équipement, et sa galerie leur permet d’exposer. On profite aussi d’autres types d’équipement. Pour la gravure et l’imprimerie, il y a les presses de Circulaire et, pour le textile, Diagonale. Le fait de se regrouper permet de partager des compétences, des idées et des ressources, autant pour les gens du quartier que pour les créateurs», explique Isabelle Anguita, artiste peintre et membre du Conseil d’administration de Pi2.

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