Société

Photo : Brett Jordan sur Unsplash

De la DPJ aux bancs de l’université

« Tout le monde connaît un jeune qui est passé par la DPJ, ils sont partout », déclare le doctorant en science politique à l’UdeM Nicolas Zorn, lui-même placé en centre jeunesse de l’âge de 11 ans jusqu’à ses 18 ans. Les bancs de l’université ne constituent toutefois pas l’endroit où se trouve la majorité d’entre eux.

Premiers obstacles

Aucune statistique n’existe concernant le nombre d’étudiant·e·s pris en charge par la protection de la jeunesse accepté·e·s dans des établissements d’enseignement supérieur, mais le faible taux de réussite à l’école secondaire donne le ton : seuls 25 % des enfants placés ont leur diplôme d’études secondaires en poche à l’âge de 19 ans*, contre 77 % des Québécois·e·s du même âge. En cause, notamment, le décrochage scolaire, qui touche 60 % d’entre eux*. Certain·e·s parviennent toutefois à terminer leurs études secondaires à l’âge adulte, mais le taux de diplomation reste bien inférieur à celui du reste de la population.

La fondatrice du Collectif Ex-Placé DPJ, Jessica Côté-Guimond, également étudiante à la maîtrise à l’École nationale d’administration publique (ENAP), souligne aussi la prégnance du biais cognitif de « l’effet Golem », soit l’inverse de l’« effet Pygmalion » chez ces jeunes. Ainsi, le regard négatif que la société porte sur les enfants placés aurait une incidence sur leurs performances scolaires, créant ainsi un cercle vicieux de dépréciation et d’échec.

Nicolas explique que la stigmatisation et le manque de modèles positifs auxquels s’identifier n’appellent pas les jeunes à être ambitieux. « Quand je leur dis que j’ai créé trois entreprises alors que je suis passé par les centres jeunesse, ils me regardent avec des étoiles dans les yeux, car ils ne pensent pas que ce soit possible », rapporte l’auteur de J’ai profité du système. Des centres jeunesse à l’université : parcours d’un enfant du modèle québécois, publié en 2017 aux éditions Somme toute. 

Nicolas Zorn a décroché au secondaire, puis au cégep. Il est désormais étudiant au doctorat. Photo | Courtoisie | Nicolas Zorn

Travailler vite 

Si 37 % des jeunes pris en charge par la DPJ aspirent à faire des études supérieures*, le système ne les pousse pas à se projeter dans l’avenir. « Le contexte n’est pas propice à avoir des rêves et des projets », explique l’étudiante à la maîtrise en travail social à l’UQAM Sarah Arcand-Larocque, placée à partir de ses 11 ans jusqu’à sa majorité. 

Au moment de choisir leur orientation, les jeunes sont bien souvent pressés d’entrer sur le marché du travail, ce qui ne permet pas d’envisager des études universitaires. C’est d’ailleurs l’expérience qu’a vécue Jessica, qui s’est d’abord tournée vers un diplôme d’études professionnelles. « Je ne pensais pas qu’aller à l’université était possible pour moi, témoigne- t-elle. Ça paraissait trop long et trop cher. » 

 

Chères études

Au baccalauréat, Jessica Côté-Guimont a obtenu une bourse d’études de la Children’s Aid Foundation d’un montant de 10 000 $ par an, payée par l’ancien joueur de hockey Ken Dryden. Photo | Courtoisie | Jessica Côté-Guimont

Le coût des études représente en effet un frein majeur pour ces jeunes qui ne peuvent pas compter sur leur famille. Si les anciens enfants placés bénéficient de bourses d’études qui leur sont réservées, nos trois témoins dénoncent le manque d’information à ce sujet. « J’étais déjà en troisième année de baccalauréat quand j’ai appris l’existence des bourses pour les anciens de la DPJ, précise Nicolas. Mes prêts de 1 000 $ par session sont devenus des bourses de 4 000 $. » 

L’aide financière, bien que primordiale, ne constitue toutefois pas une recette magique. Devenue mère pendant ses études, Jessica a dû demander une dérogation pour recevoir davantage de financement, mais elle a tout de même atteint le seuil d’endettement maximal de l’Aide financière aux études (AFE). 

La gratuité scolaire s’impose ainsi comme un enjeu crucial pour permettre à davantage d’ex-enfants placés d’intégrer l’université. Elle figurait d’ailleurs parmi les recommandations émises en avril 2021 dans le rapport final de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, communément appelée « Commission Laurent ». Selon l’une des sources de Quartier Libre, le ministère de la Santé serait en train de travailler à sa mise en vigueur. 

Jeu de hasard 

Si les défis que rencontrent les enfants placés sont bien connus et documentés, quelles sont les raisons pour lesquelles Nicolas, Jessica et Sarah ont réussi à déjouer les statistiques et à décrocher, au minimum, un diplôme de premier cycle universitaire ? 

Répondre à cette question n’est pas possible. En effet, malgré des difficultés généralement similaires, les facteurs de réussite sont uniques, et souvent le fruit de rencontres aussi fortuites que déterminantes. Pour Nicolas, c’est un rendez-vous avec un conseiller en orientation qui a été décisif. « Ça devrait être obligatoire pour tous les jeunes », insiste-t-il. 

Passionnée de sociologie depuis le cégep, Sarah Arcand- Larocque a obtenu un baccalauréat dans ce domaine à l’UQAM. Photo | Courtoisie | Sarah Arcand-Larocque

Pour Jessica, voir son conjoint entreprendre des études collégiales, puis universitaires, l’a convaincue de suivre une année préparatoire à l’université avant d’intégrer un baccalauréat en psychoéducation à l’UdeM. Ses six années de participation à l’étude du professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CREVAJ) Martin Goyette sur le devenir des jeunes placés se sont également révélées déterminantes. Elle effectue d’ailleurs aujourd’hui son mémoire de maîtrise sous sa direction. 

Quant à Sarah, un professeur de français au cégep a remarqué ses difficultés persistantes et l’a poussée à solliciter le Service d’aide à l’apprentissage de l’établissement. Une fois le diagnostic de dyslexie et de dysorthographie mixte obtenu, celle qui n’avait réussi que quatre cours en trois sessions a pu bénécier de soutien en orthopédagogie, reprendre confiance en elle et améliorer significativement ses résultats scolaires. L’année suivante, elle a enfin intégré le programme de Techniques d’intervention en délinquance, qu’elle visait depuis la fin du secondaire. 

En parallèle, et après de longues années d’instabilité résidentille, la jeune femme a connu une période de stabilité en emménageant chez sa grand-mère, puis dans un appartement que son parrain lui a loué pour une somme modique et, enfin, avec son conjoint. Ces solutions lui permettent de ne pas dédier trop de temps à un travail en dehors des cours. Sarah cite d’ailleurs le logement comme obstacle principal à la transition vers la vie d’adulte et la poursuite d’études pour beaucoup de jeunes placés. En effet, plus d’une personne sur trois passée par la protection de la jeunesse connaît une période d’itinérance dans les années qui suivent sa sortie de placement*. 

Résilience 

Arrivé·e·s sur les bancs de l’université après avoir connu bien plus d’épreuves que la plu- part des jeunes de leur âge, les ex-placé·e·s peuvent tirer avantage de leur parcours. « Les anciens des centres jeunesse sont beaucoup plus matures, beaucoup plus résilients que les autres, conclut Nicolas. Leur absence de peur de défoncer des portes devient leur force. » 

* Données issues de l’Étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec (EDJeP), dirigée par la Chaire de recherche sur l’évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CREVAJ) de l’École nationale d’administration publique (ENAP). 

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