Danser sans tabou

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Par Timothé Matte-Bergeron
mercredi 25 janvier 2017
Danser sans tabou
En Inde, les femmes ne peuvent pas être prise en photo dans leur vie quotidienne mais seulement quand elles dansent. Crédit photo : Courtoisie Marianne-Sarah Saulnier.
En Inde, les femmes ne peuvent pas être prise en photo dans leur vie quotidienne mais seulement quand elles dansent. Crédit photo : Courtoisie Marianne-Sarah Saulnier.
Quartier Libre transporte ses lecteurs sur le terrain, au cœur des projets de recherche menés par des étudiants. Dans ce numéro, la doctorante en anthropologie Marianne-Sarah Saulnier étudie les femmes gitanes au Rajasthan, dans le nord-ouest de l’Inde, et leur transgression de certains tabous sociaux par la musique et la danse.

Quartier Libre : Peux-tu nous expliquer sur quoi porte ta recherche ?

Marianne-Sarah Saulnier : J’observe une communauté gitane de charmeurs de cobras vivant dans le désert du Thar, au Rajasthan, les Kalbeliya. Lorsque le gouvernement indien a décidé, en 1972, de mettre fin à la traite du venin et de la peau de serpent, ainsi qu’à la maltraitance des animaux sauvages, dont le cobra, la communauté a décidé de remplacer les cobras par des femmes. Auparavant, les seules femmes qui dansaient et faisaient de la musique étaient des courtisanes ou des prostituées. Elles sont maintenant reconnues comme des artistes et peuvent danser sur scène. C’est là la transgression d’un tabou important. Je travaille sur la place des femmes dans ce contexte et sur comment l’expression artistique transforme les normes de genre.

Q. L. : En tant que femme, as-tu vécu des difficultés particulières sur le terrain ?

M.-S. S. : L’Inde est l’un des pays où la femme est la moins bien traitée. À partir du moment où le soleil se couche, tu ne sors pas. Il faut faire attention à comment t’habiller et être très modeste dans ta façon de t’exprimer. Cela dit, le fait que je sois une femme m’aide à avoir accès à leur propre milieu. Jamais un homme n’aurait pu faire ce que j’ai fait. Les maris n’auraient pas permis que je parle à leur épouse. Il y avait un drôle de rapport avec les hommes, par contre. Certains musiciens trouvaient un peu insultant que je m’intéresse aux femmes, qui sont considérées comme des humains de seconde zone, mais pas à eux. Je devais montrer que je m’intéressais aussi à ce que les hommes font, pour ne pas qu’ils me voient comme une ennemie.

Q. L. : As-tu parfois ressenti de la méfiance par rapport à ton travail ?

M.-S. S. : Très peu. Là où les gens devenaient méfiants, c’est lorsque je leur montrais le certificat d’éthique, exigé par l’Université pour mon travail de recherche. Les gens avaient peur, en signant un document –en anglais en plus, qu’ils ne comprennent souvent pas–, de se faire avoir. En fait, je n’ai fait signer personne, puisque ça les bloquait. On a le choix de simplement montrer et expliquer verbalement le certificat d’éthique. De plus, les femmes ne savaient pas ce qu’était l’Université et ce qu’était une maîtrise. J’ai donc envoyé les recherches que j’avais faites par Facebook, pour qu’elles comprennent en quoi consiste mon travail.

Q. L. : Comment planifies-tu ton prochain voyage ?

M.-S. S. : C’est difficile à dire, côté méthodologie, ce que je ferai exactement. C’est un peu ma crainte. Je vais essayer de suivre le plus de gens possible, poser des questions, faire le plus d’activités avec eux. Il faut s’intégrer à la communauté, vivre le quotidien des femmes, ce qu’on appelle faire de l’observation participante. Je dois aussi préparer mon certificat d’éthique et j’aimerais bien m’affilier à une université au Rajasthan.