Danser la disparition

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Par Emmalie Ruest
mercredi 13 mars 2024
Danser la disparition
Quand la danse disparaît de la photo. De gauche à droite : Emily Valois, Chloé Darty, Elsa Galopin, Vincent Billé, Yasmina Defouf et Sara-Maude Leclerc. Crédits photo | Juliette Diallo.
Quand la danse disparaît de la photo. De gauche à droite : Emily Valois, Chloé Darty, Elsa Galopin, Vincent Billé, Yasmina Defouf et Sara-Maude Leclerc. Crédits photo | Juliette Diallo.
Comment évoquer l’idée de la disparition en danse ? C’est le défi que se sont lancés cette année les membres de la troupe Danse Université de Montréal, dirigée pour la deuxième édition consécutive par la chorégraphe Alice Blanchet-Gavouyère. Cette disparition n’est pas sans rappeler celle d’une partie de la biodiversité : l’écologie demeure en effet au cœur de l’univers de l’artiste.
« Clairement, j’ai trouvé certains de mes meilleurs amis ici à Montréal dans la troupe, autant parmi les participants de l’an passé que de cette année. »
Clara Zecchinon, Étudiante de deuxième année au baccalauréat en littérature de langue française

Depuis ses débuts en tant que responsable de la troupe Danse Université de Montréal, Alice Blanchet-Gavouyère sonde les liens entre l’écologie et la danse. « C’est vraiment là-dessus que j’ai fait tout mon mémoire de maîtrise », explique la chorégraphe-chercheuse, qui poursuit actuellement sa maîtrise en danse à l’UQAM. L’écologie étant un domaine assez vaste, elle a préféré se concentrer sur le thème de la disparition et des questions qui en découlent : ce qui disparaît et ce qui reste. « Parler de disparition au lieu de parler d’un sujet vraiment politique, c’est un peu plus esthétique et plus parlant au niveau artistique », précise-t-elle.

La troupe de cette année se compose de onze étudiant·e·s, sélectionné·e·s après un processus d’audition qui a eu lieu en octobre dernier. Elle présentera le spectacle Revers du 4 au 6?avril prochain au Centre d’essai de l’Université de Montréal.

Comprendre avec le corps

L’étudiante de première année en médecine et membre de la troupe Yasmina Defouf explique que l’une des premières improvisations qui lui ont permis de bien saisir le thème du spectacle a été un jeu autour de l’idée de dévoiler et de cacher son visage. « En commençant par quelque chose qui est un peu évident, comme le fait de faire disparaître son visage et de ne plus regarder vers le public, c’est plus facile de l’interpréter dans le corps, décrit la danseuse. De fil en aiguille, c’est plus facile de s’approprier le thème et d’explorer les différentes variations possibles. »

Autant pour Yasmina que pour l’étudiante au baccalauréat en littérature de langue française Clara Zecchinon, la participation au processus de création a une place importante.

Mme Blanchet-Gavouyère révèle d’ailleurs avoir été agréablement surprise de l’implication de l’une des interprètes. « Une des étudiantes a écrit un poème qu’elle va lire pendant la présentation », souligne la chorégraphe. Un autre étudiant, qui n’est pas membre de la troupe, a également collaboré en écrivant un poème, qui a d’ailleurs des chances de faire partie de la bande-son du spectacle. « C’est vraiment beau de voir tous ces gens mobilisés autour du projet », se réjouit la chorégraphe.

S’inspirer d’autres œuvres

Les créations d’artistes d’autres disciplines ont également nourri le processus, dont celle musicale de William Basinski, The Disintegration Loops, construite à partir d’enregistrements de vieilles cassettes qui se détériorent à force d’être utilisées. « Cette œuvre parle de la matérialité de la musique, qui tranquillement disparaît, puis s’évapore, finalement », dévoile Mme Blanchet-Gavouyère. Elle a d’ailleurs choisi d’intégrer la musique de Basinski dans le spectacle. « Pour nous, c’était vraiment parlant, puis ça m’a aidé à m’expliquer à moi-même, mais aussi aux étudiants, quelle est cette idée de disparition que j’entrevois », précise-t-elle.

La poésie de l’autrice Marie Uguay a également teinté le processus artistique. Les spectateur·rice·s auront la chance de découvrir lequel de ses poèmes a été choisi. « C’est un poème qui a émergé et fait apparaître des sensations, et, à partir de là, j’ai décidé qu’on allait le garder et l’utiliser », indique la chorégraphe.

Yasmina précise que le poème renvoie beaucoup au corps, facilitant ainsi la compréhension du thème. Mme Blanchet-Gavouyère ajoute que l’œuvre est à la fois très imagée, mais aussi informelle et fuyante. « Ce poème parle de quelque chose qui naît et est presque aussitôt terminé », décrit-elle. Elle souligne également comment la poésie se rapproche de sa propre écriture chorégraphique. « Je travaille un peu le mouvement de la même façon, détaille-t-elle. On dirait qu’à chaque fois qu’on peut s’y accrocher, tout d’un coup, c’est déjà en train de disparaître. »

La vision d’une chorégraphe

Grâce à ces inspirations, la chorégraphe-chercheuse est aussi allée puiser dans les processus de création qu’elle a réalisés à l’extérieur dans le cadre de sa maîtrise. « J’ai pris conscience qu’il y a vraiment une espèce de mémoire des processus artistiques dans le corps, qui nous dépasse beaucoup, un peu comme si les lieux finissaient par nous habiter plus que nous les habitons », confie-t-elle.

Cette relation aux lieux a d’ailleurs un lien avec l’écologie. « Ce que ça m’a appris l’écologie, dans le processus, c’est que tous les éléments comptent et qu’ils finissent par jaillir, même si c’est très discret, poursuit Mme Blanchet-Gavouyère. Même si c’est un peu évaporé, c’est quand même là, quelque part, il y a comme une trace. »

« J’aime beaucoup notre capacité à être absurde dans la danse, je trouve que c’est très générateur, surtout pour parler de choses un peu plus difficiles, ajoute la chorégraphe. De pouvoir le rendre grossier, ça peut permettre d’avoir une distance saine avec le sujet. » Mme Blanchet-Gavouyère ne veut surtout pas que le public s’empêche de rire. Clara abonde dans ce sens et observe qu’à l’instar de l’an dernier, « le ludique est vraiment mis plus en avant » et que « c’est peut-être moins “prise de tête” ».

Yasmina croit que la variété des interprétations, des styles de danse et des musiques présentes dans les spectacles peuvent permettre à un·e non-initié·e d’y trouver son compte. « Ce qu’Alice crée, c’est comme du contemporain, mais pour les nuls, résume-t-elle. Elle pense toujours à l’œil du public. Comment va-t-il voir ça ? Est-ce qu’il va se fatiguer de la scène ? Est-ce qu’il va aimer ça ? »

La danse comme premier choix

« J’ai vu très tôt qu’il y avait une troupe de danse à l’Université de Montréal, puis je pense que ça a influencé mon choix de la choisir comme université, avoue Clara, qui a rejoint la troupe l’année dernière. Pour moi, c’était l’opportunité de pouvoir continuer ma passion numéro un en même temps que les études. ».

L’étudiante d’origine belge précise aussi avoir choisi de rentrer dans la troupe pour nouer des relations amicales. « Clairement, j’ai trouvé certains de mes meilleurs amis ici à Montréal dans la troupe, autant parmi les participants de l’an passé que de cette année », affirme-t-elle.

Alors que l’année dernière, les membres de la troupe avaient plutôt des formations en danse contemporaine, ceux de cette année ont des parcours beaucoup plus variés, selon Clara, avec des connaissances en jazz, en danse afro-urbaine, en hip-hop et même en danse traditionnelle chinoise.

Yasmina vient pour sa part du monde de la danse de compétition, où « il fallait que tout le monde soit pareil et ait les pieds pointés de la même façon », alors qu’avec la troupe, elle a été amenée à montrer sa personnalité à partir des consignes proposées. Même si elle aime cette approche, elle avoue avoir été « un peu surprise de la façon dont Alice fonctionne ».

« Elle nous a fait faire beaucoup d’improvisation en début d’année, danser de la façon dont on veut danser, révèle l’étudiante. Ça faisait longtemps que je n’avais pas dansé, parce que j’avais pris une pause, donc il fallait que je me remette dans mon corps, puis en même temps que j’improvise, chose que je n’avais pas beaucoup faite avant. »

Malgré ce défi, elle assure avoir senti dès l’audition une atmosphère ouverte où elle pouvait faire ce qu’elle voulait.