Dans l’œil des réseaux

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Par Amandine Hamon
vendredi 27 avril 2018
Dans l’œil des réseaux
(Photo: Unsplash | Thought Catalog)
(Photo: Unsplash | Thought Catalog)
En mars 2018, l’exploitation des données de 86 millions de profils Facebook par l’entreprise Cambridge Analytica a laissé apparaître les failles du réseau social aux yeux de ses 2 milliards d’utilisateurs. Ce scandale a-t-il changé les habitudes des étudiants de l’UdeM ?

Entrevue avec le professeur au Centre de recherche en droit public (CRDP) de la Faculté de droit de l’UdeM Pierre Trudel, sur l’affaire Facebook — Cambridge Analytica

Quartier Libre : Que reproche-t-on à Facebook ?

Pierre Trudel : Facebook collecte et conserve l’ensemble des informations que l’on partage. Elles sont vendues à des entreprises de manière à attribuer des charges de publicité ciblée aux utilisateurs. C’est le modèle d’affaires de Facebook. C’est gratuit pour les usagers, mais ce n’est pas une œuvre de charité, et depuis l’affaire Cambridge Analytica, on se rend compte que ça peut servir la communication politique. Cette entreprise, comme n’importe quelle autre, a accédé aux données de Facebook pour cibler des personnes avec des contenus politiques, notamment pour la campagne de Donald Trump.

Q. L. : En quoi cela concerne-t-il les personnes qui n’ont rien à cacher ?

P. T. : C’est l’argument classique pour minimiser les risques liés à la vie privée. Si les gens pensent qu’il n’y a pas de risques, c’est parce que l’enjeu individuel est dérisoire. Ce qui doit alarmer, c’est l’accumulation massive de ces données.

Q. L.: Qui est responsable de la protection de la vie privée ?

P. T. : Si on est si peu efficace, c’est parce qu’on persiste à croire que c’est une affaire de consentement individuel. La croyance selon laquelle on peut réguler tout ça en disant aux gens de choisir les bons réglages est une illusion. Pour l’instant, les États font reposer sur les individus l’obligation de limiter la collecte de leurs informations, mais ce n’est pas réaliste. C’est comme si on essayait de lutter contre la pollution de l’eau en demandant aux citoyens de nettoyer l’eau qu’ils utilisent.

Q. L. : Comment réguler la protection des données personnelles ?

P. T. : Ces 20 dernières années, les législateurs ont eu une vision extrêmement naïve d’Internet, qui était vu comme un espace de liberté, sûrement par manque de culture numérique. On devrait considérer les données comme une ressource commune, comme l’eau, et baliser la façon de faire de l’argent avec cette ressource en demandant des comptes aux entreprises. On pourrait implanter l’obligation de rendre les algorithmes transparents. Il faudrait un régime supranational pour encadrer les entreprises qui carburent aux données.

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Vox Pop

 

Qu’est-ce que tu comprends de l’affaire Cambridge Analytica ?

 

alexis_aubinAlexis Aubin – Étudiant libre

C’est une plateforme qui ramasse énormément d’informations, puis qui les revend. Sur le plan individuel, ça permet de créer sa propre image et d’en avoir le contrôle. Mais il y a beaucoup d’intérêts économiques derrière.

 

 

matthieu_gouton

Matthieu Gouton – Baccalauréat en communication

J’ai un peu suivi, je sais à peu près de quoi on parle, même si je ne suis pas un expert. Pour moi, le problème n’est pas vraiment la compilation et l’utilisation des données. Par exemple, en publicité, on le fait et je trouve que c’est pertinent qu’on me propose des produits qui m’intéressent. Par contre, je trouve dangereux pour les démocraties que cela devienne un outil de politique et que l’on sache comment parler et quoi dire pour se faire élire. Ce n’est plus une démocratie, c’est un algorithme humain.

T’inquiètes-tu pour la protection de ta vie privée ?

 

mathieu_desgroseillersMathieu Desgroseilliers – Baccalauréat en anthropologie

C’est un gros paradoxe parce qu’on sait tous que nos données sont utilisables et vendues, mais on utilise Facebook quand même. 
A collaboré au vol. 25, no 2 de Quartier Libre.

 

 

 tristan_grechTristan Grech – Baccalauréat en études internationales

Évidemment, ça fait peur. Mais quand on s’inscrit sur Facebook, on sait ce qu’on y met. Je pense que c’est à nous de faire le tri de ce qu’on publie et de ce qu’on ne publie pas. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de sensibilisation.

 

C’est quoi Facebook pour toi ?

 

ryan_derbasRyan Derbas – Baccalauréat en relations industrielles

Je ne poste rien, je ne suis pas très actif et je ne partage pas. Mais je regarde les annonces d’évènements de l’Université et je suis la page de mon école.

 

 

helene_picamelotHélène Picamelot – Baccalauréat en études internationales

C’est pour ne manquer aucune information que l’on reçoit de l’Université, pour mes cours et pour discuter, mais sinon je trouve ça débile. On y passe trop de temps. Ça me plait, mais je sais que c’est un plaisir pervers. Montrer sa vie et ses photos, c’est très narcissique. Et pourtant, on nous pousse à le faire, et plus on le fait, plus on aime.

 

Peut-on sacrifier le droit à la vie privée au nom de l’interconnexion des gens dans le monde ?

 

katia_hitacheKatia Hitachi – Maîtrise en biochimie

Je suis assez conservatrice sur les réseaux sociaux, je pense que la vie privée reste importante et que le phénomène de partage peut devenir assez accaparant. On sent une pression à partager davantage.

 

 

sabrina_desjardinsSabrina Desjardins – Baccalauréat en psychologie

On a le contrôle de ce qu’on veut partager ou non, donc c’est à nous de ne pas mettre en ligne ce qu’on ne veut pas montrer. C’est pratique de pouvoir être connecté avec les gens qui sont sur d’autres continents.

 

 

Que penses-tu des personnes qui incitent leurs pairs à supprimer leur compte ?

 

rafael_lima_barbosaRafael Lima-Barbosa – Baccalauréat en mathématiques

Je pense que supprimer Facebook serait une idée qui me ferait du bien. Ça rend les relations très superficielles.

 

 

sami_khalilSami Khalil – Baccalauréat en sociologie

S’il y a un phénomène de masse, ça peut être un moyen de révolte. Mais pour nos données personnelles, c’est trop tard. Elles sont déjà stockées dans des serveurs, je ne sais pas trop où ! Moi, je l’assume, j’en suis dépendant. On vit dans une société où il est difficile de vivre sans.

 

(Crédit photo : Benjamin Parinaud)