« Le temps d’exploitation d’un film est de plus en plus bref. Si nous n’arrivons pas à inverser cette tendance, on ne va pas seulement continuer à être un cinéma de niche, on va disparaître », constate Cristian Mungiu, prix de la mise en scène pour son film Baccalauréat (ex aequo avec Olivier Assayas), dans son discours de remerciement — peut-être le plus politique de la soirée. Alors que Ken Loach, Palme d’Or pour Moi, Daniel Blake, répétait ses idées antilibérales, arguant qu’« un autre monde est possible et même nécessaire » et que c’était au cinéma d’aider à changer les choses, Cristian Mungiu nous ramène à la triste réalité : avant de donner aux films d’incroyables pouvoirs révolutionnaires, il faut d’abord simplement les rendre visibles.
Ken Loach a de la chance : non seulement sa Palme d’Or devrait lui attirer au moins un public de cinéphiles, mais en plus la langue de son film est l’anglais, ce qui est bien pratique pour l’exportation, notamment en Amérique du Nord. Que son film, suivant un chômeur dans son odyssée kafkaïenne pour obtenir l’aide sociale, attire un public autre que les habitués de films réalistes, sociaux et engagés — en un mot, les convaincus — est un autre débat (auquel on serait tenté de répondre par la négative). Mais au moins, Moi, Daniel Blake aura sa chance. Si elle est loin d’avoir des propriétés magiques sur le box-office, la Palme d’Or assure a minima au film un certain rayonnement médiatique, dopé par l’éventuel enthousiasme des critiques — mais qui cette fois-ci, ne semble pas être au rendez-vous.
Mais que dire de Ma’ Rosa, du Philippin Brillante Mendoza, prix d’interprétation féminine (pour Jaclyn Jose), ou d’Aquarius, du Brésilien Kleber Mendonça Filho, salué par la critique, mais absent du palmarès ?
Au feu les pompiers
Alors que les dernières grandes tanières montréalaises du cinéma d’auteur ferment les unes après les autres (l’Excentris en novembre, la Boîte noire en mai), les distributeurs québécois vont sans doute se montrer de plus en plus frileux à l’idée d’investir dans ce cinéma dit « d’auteur ». Les plus chanceux auront peut-être quelques séances au Cinéma du Parc, et dans quelques années, une belle édition vidéo chez Criterion. Pour les autres, ce sera peut-être quelques projections dans des festivals, une éventuelle tournée des ciné-clubs, avant de disparaître des écrans radars.
Bien sûr, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Xavier Dolan, malgré les huées d’une partie de la presse, devrait être visible un peu partout, à l’instar des autres vedettes internationales de la sélection (Jim Jarmusch, Jeff Nichols, Nicolas Winding Refn …). Et si Sean Penn a peur, même lui survivra à sa mise à mort. Car « cinéma d’auteur » est un gros mot qui ne veut rien dire, et qui mélange des personnalités et des genres totalement hétéroclites. Au final, les vieilles recettes sont toujours les plus efficaces : un film en français ou en anglais et des vedettes dans la distribution font de bien meilleures locomotives à audience que des prix à Cannes. Une seule chose change, le nombre de films de plus en plus important à négocier une sortie en salle, entraînant une concurrence sans pitié pour les œuvres dépourvues de telles locomotives. « D’auteur » ou pas, le cinéma est un marché comme un autre, victime comme partout du paradoxe de l’abondance, rappelant ainsi la règle élémentaire du marketing : « trop de choix tue le choix ».