« Culture du viol », linguistique et réalités

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Par Alice Mariette
mercredi 19 octobre 2016
« Culture du viol », linguistique et réalités
Illustration : Adriane Paquin-Côté.
Illustration : Adriane Paquin-Côté.

Si tout le monde n’est pas obligé d’être d’accord sur un sujet, tout le monde devrait l’être sur une définition. Pourtant, l’expression « culture du viol » ne fait pas l’unanimité. Pire encore, elle n’est pas toujours comprise.

Par définition, la culture est l’«ensemble des aspects intellectuels d’une civilisation » (dictionnaire Le Petit Robert) et le viol un « rapport sexuel imposé à une personne sans son consentement » (dictionnaire Larousse). Alors, que veut dire « culture du viol » et, par définition, est-ce que cela peut exister ?

Le concept de « rape culture » est né aux États-Unis, dans les années 1970. Longtemps employée presque exclusivement dans les milieux féministes, l’expression n’est sortie de ce cercle restreint que quelques décennies plus tard. « M. et Mme Tout le monde » a donc découvert ces trois mots récemment, au mieux il y a quelques années, au pire il y a quelques minutes. Une découverte qui s’est faite sans n’avoir jamais lu aucun écrit sur le sujet, ni même suivi le mouvement dans lequel l’expression a pris racine.

Une expression punchée

Le professeur au Département de linguistique et de traduction de l’UdeM François Lareau estime que cette absence de mise en contexte provoque beaucoup de malentendus. « Le fait que vous ayez ressenti le besoin de parler à un linguiste est symptomatique », s’amuse-t-il. Pour lui, un des risques est l’interprétation de l’expression par analogie, en pensant à d’autres expressions ressemblantes, comme « culture de l’automobile » ou « culture du café ». Expressions qui renvoient à des sociétés où il est normal d’utiliser une auto ou de boire du café. « Il est possible d’interpréter l’expression “culture du viol” comme voulant dire qu’on vit dans une société où s’il n’est peut-être pas normal, il est en tout cas fréquent que les viols soient commis et que ça soit toléré d’une certaine manière », illustre-t-il. Selon lui, pour éviter tout malentendu, il faudrait expliquer clairement l’expression à chaque fois qu’elle est employée.

Après recherches et réflexions, voici une définition de mon cru. La « culture du viol » renvoie à une société qui banalise, voire tolère le harcèlement et les agressions à caractères sexuels. Cela ne veut pas dire que la société pousse au viol ou l’encourage.

Cette expression, aussi provocante soit-elle, permet de mettre des mots sur des situations difficilement qualifiables et trop longtemps ignorées. Aucun des mots « culture » et « viol » n’est choisi au hasard. Leur but est justement d’attirer l’attention, provoquer un effet sur l’imaginaire et susciter une réaction.

Un dossier éclairé

La rentrée d’automne a été marquée, une fois de plus, par plusieurs histoires liées, directement ou indirectement, à la « culture du viol » dans les universités. L’expression se doit donc d’être expliquée tout comme ses origines, ses mythes et ses usages. Plus que jamais, la question se pose : existe-t-il une « culture du viol » sur les campus ? Une chercheure de l’Université McGill vient d’obtenir une subvention de partenariat de 2,5 M$ pour tenter de répondre à cette question. Dans les différents campus montréalais, plusieurs ressources existent pour les victimes de harcèlement et violence. Par ailleurs, si la campagne « Sans oui, c’est non ! » est un véritable premier pas dans la bonne direction, il reste des actions concrètes à mener.

Le dossier spécial de ce numéro vise avant tout à permettre une meilleure compréhension de ce qu’est la culture du viol. Au-delà des quiproquos qui peuvent exister autour de l’expression en tant que telle, une prise de conscience des réalités qui y sont liées est nécessaire.