Le journalisme sous COVID-19 : un métier essentiel, mais à risque

icone Societe
Par Edouard Ampuy
mardi 24 mars 2020
Le journalisme sous COVID-19 : un métier essentiel, mais à risque
Pour faire face à la crise du COVID-19 qui affecte le secteur des médias, la FPJQ demande une aide d’urgence au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral. Image par Pexels de Pixabay
Pour faire face à la crise du COVID-19 qui affecte le secteur des médias, la FPJQ demande une aide d’urgence au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral. Image par Pexels de Pixabay
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a indiqué dans un communiqué que certaines entreprises de presse estiment avoir perdu 70 % de leurs revenus publicitaires. Entre le respect des consignes de sécurité et le besoin d’informer le public, les journalistes s’adaptent aux nouvelles conditions imposées par la crise.

Pour le président de la FPJQ, Michaël Nguyen, cette crise est sans précédent pour les organes de presse. « Le journal Voir a indiqué avoir mis à pied cinq employés à la rédaction, et le quotidien Métro a mis fin temporairement au contrat de ses journalistes pigistes, explique M. Nguyen. En région, certains groupes de presse qui possèdent plusieurs quotidiens et hebdomadaires ont déjà mis à pied une partie de leur personnel de l’information. » Le Devoir a annoncé que la Coopérative nationale de l’information indépendante a dû mettre à pied la moitié de ses employés et suspendre la publication papier.

Cette situation est paradoxale pour le président de la Fédération, qui considère que les médias sont aujourd’hui essentiels. « Notamment pour combattre les désinformations, et pourtant, on se retrouve avec moins de moyens pour produire l’information et c’est tragique », regrette-t-il.

 

Le premier ministre François Legault a souligné dans son point de presse quotidien du vendredi 20 mars le rôle essentiel des médias. Une reconnaissance que salue la FPJQ.

Le premier ministre François Legault a souligné dans son point de presse quotidien du vendredi 20 mars le rôle essentiel des médias. Une reconnaissance que salue la FPJQ.

 

M. Nguyen ajoute qu’avec la crise, les médias sont le meilleur moyen d’obtenir une information vérifiée. « Beaucoup de directives sont données, ça évolue d’heure en heure et les médias sont ce qu’il y a de plus fiable pour transmettre l’information et combattre la désinformation », développe-t-il.

Face à la situation, la FPJQ demande une aide d’urgence au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral. « Elle pourrait prendre la forme d’investissements publicitaires dans tous les médias touchés, qu’ils soient nationaux, régionaux ou locaux, déclare M. Nguyen. La FPJQ invite aussi les entreprises qui sont peu ou pas touchées par la crise actuelle à passer des annonces dans les médias. » Le président de la Fédération recommande aux organes de presse qui le peuvent d’embaucher des pigistes.

La journaliste Katrine Désautels travaille pour le groupe Métro Média. Elle indique que la direction tient ses employés quotidiennement informés, et que pour l’instant, aucune mise à pied n’a été annoncée.

Le journal Métro a réévalué son mode de distribution avec la crise. « Dès lundi, le journal va être disponible dans plus de 500 pharmacies, épiceries et détaillants, pour s’ajuster à la fréquentation en baisse des stations de métro », révèle Mme Désautels.

Elle précise que le site Internet du journal n’a jamais été autant consulté. « Le Web a vraiment explosé, il y a plus de 250 % de lecteurs, c’est du jamais vu dans l’histoire du journal », se réjouit-elle.

Journalisme et télétravail

Au Journal de Montréal, les consignes de sécurité sont de faire du télétravail et de suivre les recommandations de la santé publique.

Le journaliste au bureau d’enquête du journal et ancien rédacteur en chef de Quartier Libre, Dominique Cambron-Goulet, explique qu’il doit parfois encore se déplacer. « Si on veut constater sur place un phénomène, on ne peut pas aller voir si le métro est rempli ou non en restant à la maison », illustre-t-il.

Il ajoute que ces sorties sont de sa propre initiative et qu’il respecte à chaque fois les consignes de distance sociale. « La semaine dernière, je suis allé à deux conférences de presse de Mme Plante, et samedi j’étais en reportage, poursuit-il. Je devais confirmer des informations, et c’est plus simple de poser les questions directement à la mairesse plutôt que d’attendre les communications de la Ville, qui sont surchargées. »

D’après Mme Désautels, les employés du journal Métro sont également en télétravail. « Normalement, on est sur le terrain et on rencontre des gens, mais là, tout est paralysé et tout se fait par téléphone, ça complique la tâche », détaille-t-elle. Pour elle, le plus difficile reste la communication entre les équipes. « Il faut composer avec beaucoup de conversation Messenger, c’est un peu chaotique », ironise-t-elle.

Une information volatile

Le caractère exceptionnel de la situation contraint les journalistes à composer avec une information changeante. « Un article écrit au cours de la journée peut ne plus être valide le soir même, et c’est difficile, parce qu’il faut tout réécrire, souligne Mme Désautels. C’est une réalité qu’on n’a pas habituellement. »

M. Cambron-Goulet a récemment fait les frais de cette volatilité de l’information. « Jeudi, j’ai fait un texte sur les inspecteurs de la Ville à qui il était demandé de continuer à faire les inspections d’insalubrité, développe-t-il. Le matin, j’ai posé des questions à la Ville, et finalement, la directive claire a été envoyée à tout le personnel à 18 h 30. » Pour s’y préparer, le journaliste a écrit deux versions de son article.

Parler d’autre chose

Il est difficile pour les journalistes d’arriver à parler d’autre chose que de la COVID-19. « Il y a tellement de sujets autour du virus que l’intégralité du journal traite de ça, explique Mme Désautels. Nous avons juste une petite section “100 % sans COVID-19”. »

Au Journal de Montréal, tout ce qui n’est pas lié au coronavirus est mis en pause. « En ce moment, il n’y a aucune place réservée aux sujets qui ne concernent pas le virus », affirme M. Cambron-Goulet.

Il précise qu’avec la crise, il serait malavisé de publier une histoire importante, car elle passerait inaperçue.