Coupes : Les francophones écopent plus.

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Par Anne Gabrielle Ducharme
mercredi 10 décembre 2014
Coupes : Les francophones écopent plus.
L’Université McGill s’est fait retrancher de 15 millions de dollars, soit moins que l’Université de Sherbrooke qui a un nombre d’étudiants comparable.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
L’Université McGill s’est fait retrancher de 15 millions de dollars, soit moins que l’Université de Sherbrooke qui a un nombre d’étudiants comparable.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
Cet automne, des coupes budgétaires de 200 millions de dollars frappent le réseau universitaire québécois. La branche francophone écope plus fortement de ces compressions que son homologue anglophone. Cette disproportion serait-elle plutôt due à un penchant idéologique, à une conjoncture déficiente, ou alors au hasard?

L’économiste Frédéric Lacroix s’est penché sur l’inégalité budgétaire qui règne entre les universités francophones et anglophones. «Je m’y intéresse à titre de citoyen ayant une bonne connaissance du milieu universitaire québécois», souligne-t-il. Il s’est basé sur la première série de coupes de 172 millions prévues dans le budget libéral de juin. De ce montant, 29 millions touchent le réseau anglophone, soit une proportion de 16,8 % des coupes. Pourtant, le réseau anglophone bénéficie de 29 % du budget alloué aux établissements universitaires: un écart de 12,2 % qui désavantage le réseau francophone.

Des chiffres qui font sourciller

Pour le professeur de mathématiques et de démographie à la retraite de l’Université d’Ottawa, Charles Castonguay, cet écart n’est pas surprenant.«Cette mesure n’est qu’une poursuite des dépenses disproportionnées dans le réseau anglophone, estime-t-il. Peu importe le gouvernement, on constate qu’il fait des cadeaux à la minorité anglophone.»

Selon M. Castonguay, les coupes seraient teintées d’un mea-culpa des instances politiques. «On assiste à une culpabilisation réussie des francophones, juge-t-il. Ces derniers tentent d’éviter des accusations de mesquinerie de la part des anglophones, en fournissant des moyens financiers disproportionnés aux réseaux de langue anglaise.»

La différence est grande même lorsqu’on compare des universités qui ont des activités de recherches et des programmes d’études semblables. Par exemple, à l’UdeM ce sont 532 $ par étudiant dont l’université devra se priver, alors qu’à McGill, ce montant s’élève plutôt à 375 $ par étudiant.

Pour le président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Jonathan Bouchard, ce n’est pas un penchant idéologique qui en est la cause.«Je ne crois pas qu’il y ait de prétention de la part du gouvernement, soutient M. Bouchard. Les coupes font mal et sont pensées à très court terme, ce qui touche davantage les petites universités qui sont majoritairement francophones.» Les universités de plus grande importance sont en effet plus aptes à absorber les coupes, par la rationalisation de leurs effectifs et par la réorganisation de leurs instances administratives.

Le Président de la FEUQ soulève d’autres enjeux qui nuisent au milieu francophone. «Si comme il en est débattu à l’Assemblée nationale, les étudiants d’origine française se voient enlever leur privilège tarifaire en matière d’éducation supérieure, certaines universités se verront très handicapées.» M. Bouchard évoque le cas de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, où l’ensemble des cycles supérieurs serait menacé dans pareille situation, les étudiants français y étant majoritaires. «D’autres mesures font miroiter l’ostracisme du réseau francophone, poursuit Jonathan Bouchard. Des enveloppes budgétaires dédiées aux régions sont réduites ou entièrement coupées, ce qui nuit au recrutement de chercheurs dans ces espaces francophones.»

La vice-présidente aux affaires externes de l’Université McGill, Amina Moustaqim-Barrette, est du même avis que Jonathan Bouchard.«Les coupes sont proportionnelles au nombre d’étudiants par université, énonce-t-elle . Ce n’est pas un choix idéologique du gouvernement, mais bien une question de grandeur d’institution.» En contrepartie, elle souligne qu’il serait inacceptable que le gouvernement mette en place des coupes basées sur des critères arbitraires, comme la valorisation d’une langue au détriment d’une autre.

Entre dénonciation et constat

Si pour Jonathan Bouchard, il s’agit davantage d’une question de conjoncture, Charles Castonguay continue de croire que le problème en est un de fond. «À Montréal, c’est 23 % des individus qui travaillent en anglais, rappelle-t-il. Nos dirigeants veulent former des travailleurs et le passage par des institutions anglophones leur semble logique, d’où le favoritisme envers ces dernières.»

L’attachée de presse du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Yasmine Abdelfadel, refuse de commenter les chiffres présentés dans l’étude de Frédéric Lacroix. Elle se contente de mentionner que «tous les organismes publics doivent faire un effort pour atteindre l’équilibre budgétaire et les universités ne peuvent faire exception.» Elle souligne que des rencontres régulières entre les sous-ministres et les universités sont prévues pour éviter que les coupes aient des conséquences néfastes sur les services offerts aux étudiants.

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