Coup d’État en Birmanie : le nouveau rôle de la société civile

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Par Esther Thommeret
mardi 9 février 2021
Coup d’État en Birmanie : le nouveau rôle de la société civile
Aung San Suu Kyi, dirigeante à la tête de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et lauréate du prix Nobel de la paix en 1991, a été destituée le 1er février dernier. Crédit : Krzysztof Kuczyk via Flickr, CC BY-NC-SA 2.0.
Aung San Suu Kyi, dirigeante à la tête de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et lauréate du prix Nobel de la paix en 1991, a été destituée le 1er février dernier. Crédit : Krzysztof Kuczyk via Flickr, CC BY-NC-SA 2.0.

Lors d’un coup d’État mené le 1erfévrier dernier par l’armée en Birmanie, la dirigeante du pays, Aung San Suu Kyi, a été destituée. Jean-François Rancourt, chargé de cours et doctorant au Département de science politique de l’UdeM, revient sur l’histoire politique du pays ainsi que sur les actions de la société civile qui distinguent ce coup d’État des précédents.

Quartier Libre Les élections législatives birmanes de 2015 et de 2020 ont été remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dirigée par Aung San Suu Kyi. Celles de 2020 semblent être la raison « officielle » de ce coup d’État, qu’en est-il ?

Jean-François Rancourt : Aung San Suu Kyi s’est retrouvée à la tête du pays à la suite des élections de 2015, où le LND a remporté une victoire écrasante en gagnant environ 80 % des sièges, tout comme en novembre 2020, lorsqu’elle a été réélue.

Lors de ces dernières élections, les militaires affirment qu’il y a eu une fraude électorale « massive ». Ils ont donc contesté cette élection en affirmant qu’entre huit et dix millions de votes étaient frauduleux. Ils ont demandé à la commission électorale d’examiner la question de la fraude, qui a affirmé qu’il n’y en avait pas. Ils ont donc amené ça à la Cour suprême, mais elle n’a pas eu le temps d’agir, le coup d’État avait déjà eu lieu.

Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ont été transférés dans les mains d’un comité avec un nouveau président par intérim, mais celui qui tire les rênes, c’est le général Min Aung Hlaing.

Q.L. : Aung San Suu Kyi était-elle réellement la cheffe d’État ?

En fait, Aung San Suu Kyin’était pas présidente. Le président était Win Myint. Il y a une close dans la constitution, unique au monde, qui stipule qu’une personne ne peut devenir présidente si un membre de sa famille a une nationalité étrangère. De son côté, Aung San Suu Kyis’est mariée à un Britannique, ses deux fils ont la nationalité britannique, c’est pour ça qu’elle ne peut pas devenir présidente du pays.

Pour contourner ça, elle a créé la fonction de conseillère d’état, qui agit un peu comme une première ministre. Elle est à la tête du Parlement, mais elle n’est pas officiellement la cheffe de l’état. Elle s’est aussi attribué le ministère des Affaires étrangères, c’est donc pour ça que c’est elle qui gère la diplomatie et qui apparaît aux côtés des chefs d’État.

Q.L. :Quelle place occupe le général Min Aung Hlaing au sein de l’État birman ?

J-F. R. : Min Aung Hlaing est le chef des forces armées. Dans les faits, c’est l’homme le plus puissant du Myanmar, même avant le coup d’État, parce que l’armée est complètement autonome du gouvernement. C’est une institution indépendante, l’armée ne prend aucun ordre des représentants élus. Il contrôle donc l’armée, la police et les forces frontalières, et détient tout le monopole légitime de la violence. C’est aussi un homme extrêmement riche. L’armée possède deux conglomérats d’affaires et il en est le numéro un. C’est aussi l’un des plus importants investisseurs.

Q.L. : Quel lien peut-on faire entre le coup d’État actuel et la crise des Rohingya en 2017, un « génocide » selon l’ONU ?

J-F. R. : En 2019, un rapport des Nations Unies a affirmé que certaines des entreprises du général Min Aung Hlaing étaient liées au génocide et au crime contre l’humanité. La campagne génocidaire est l’action des militaires et Min Aung Hlaing en est le cerveau. Il y avait donc des tensions au sein de l’État-major, ses actions et sa corruption ont commencé à être davantage mises en avant.

De son côté, la dirigeante Aung San Suu Kyia choisi de défendre l’armée, même devant la Cour pénale internationale en 2019, et a refusé d’utiliser le terme « Rohingya ». Il y a vraiment eu un déni d’existence au Myanmar. En échange, les militaires ont laissé aller la politique et ils ont permis à la Ligue de remplir leur premier mandat au complet. C’est comme si Aung San Suu Kyi avait fait un pacte avec le diable, elle savait très bien que l’armée pouvait faire un coup d’État si elle décidait de les critiquer.

Q.L. : En ce moment, il y a de nombreux mouvements de contestation de la société civile. Quelle est la nouveauté par rapport aux précédents coups d’État birmans ?

J-F. R. : Les coups d’État font partie de l’histoire moderne du Myanmar. Le premier coup d’État, en 1962, a instauré l’autoritarisme militaire jusqu’en 2011. Ce qui change aujourd’hui, c’est la capacité d’organisation de la population qui, pour le moment, a réussi à contourner des blocages faits par l’armée. Par exemple, celle-ci a bloqué l’Internet mobile, mais certaines personnes ont réussi à communiquer entre elles grâce à des connexions wifi.

Depuis plusieurs jours, ce sont aussi Facebook, Instagram et Twitter qui sont fermés sur la plupart des services mobiles. Mais les gens ont installé des VPN et ils sont capables de contourner ça. C’est une première. Lors des anciens coups d’État, à l’époque, il n’y avait pas ces moyens de communication. C’est beaucoup plus difficile pour l’armée aujourd’hui d’isoler les gens, parce qu’on sait à la minute près ce qu’il se passe à l’intérieur du pays. Avant, les généraux agissaient de la même manière, mais personne ne pouvait vraiment voir ce qu’il se passait. Maintenant c’est différent, il y a plus de transparence.

En ce moment, il y a un mouvement de désobéissance civile vraiment impressionnant. Il y a aussi de nombreux médecins et infirmières qui ont décidé de faire la grève à cause du coup d’État, ce qui complique aussi la gestion de la crise de la COVID-19.

Q.L. : À quoi pouvons-nous nous attendre pour le futur ?

J-F. R. : Pour l’instant, l’armée n’a pas annoncé d’agenda politique. Elle a juste annoncé les mesures d’urgence et elle promet des élections dans un an. En attendant, elle forme un cabinet en nommant des individus d’autres partis politiques qui étaient opposés à la LND et qui se sont ralliés aux miliaires.