Coup de semonce sur la semence

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Par Antoine Palangie
mercredi 8 décembre 2010
Coup de semonce sur la semence

Des spermatozoïdes de plus en plus rares, des malformations du pénis et des testicules de plus en plus fréquentes, des populations animales de plus en plus féminisées : à première vue, une tendance qui se dessine depuis un demi-siècle pourrait bien mener à l’extinction du sexe masculin. La réalité est, heureusement, plus nuancée, même si le mode de vie des sociétés industrialisées semble bel et bien malmener les capacités reproductrices masculines.

Dommage pour les gros titres alarmistes. Mais le bilan des recherches menées à ce jour est fait de beaucoup de conjectures et encore très peu de conclusions formelles. Tout commence en 1992 avec une synthèse de 61 études portant sur 15 000 hommes dans 23 pays occidentaux entre 1938 et 1991, et qui constate une diminution de 50 % de la concentration en spermatozoïdes. D’autres études européennes confirment par la suite ce déclin. Outre les cas d’atrophie des organes génitaux mâles, on observe en parallèle une augmentation sensible du cancer et de la non-descente des testicules, deux causes potentielles d’infertilité masculine.

Les milieux naturels ne sont pas épargnés, bien au contraire. Des études récentes menées par Environnement Canada sur les poissons et les moules en amont et en aval de la station d’épuration de Montréal montrent une nette surreprésentation des femelles dans le sillage des rejets de la métropole dans le Saint-Laurent.

Quant aux causes de ces agressions sur la masculinité, là encore plus de présomptions que de certitudes. Aujourd’hui, on a d’un côté des pathologies observées sur les hommes, et de l’autre des études en laboratoire qui démontrent que des rats exposés à certaines conditions développent les mêmes symptômes. S’il est raisonnable de penser que les maladies humaines sont dues aux mêmes facteurs que pour les rats, rien ne démontre encore ce lien de façon formelle.

La liste des ennemis de la virilité est longue et variée : tabac, radiations, stress, métaux lourds, traitements de chimiothérapie, produits chimiques, etc. Une catégorie de molécules se distingue par son omniprésence dans notre environnement et par la puissance de ses effets à des doses infimes : les perturbateurs endocriniens. Parce que leur structure imite celle des hormones du corps humain, ils dérèglent l’action de ces-dernières, qui dirige les fonctions majeures de l’organisme, parmi lesquelles la sexualité et la reproduction. Les perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés se comptent par dizaines et se retrouvent dans des produits aussi divers que les détergents, les pesticides, les plastiques ou les médicaments. En plus, ces molécules sont très persistantes et tendent à s’accumuler dans l’environnement et dans la chaîne alimentaire.

Pas encore de quoi s’alarmer

Mais cet état des lieux inquiétant est à relativiser. Géraldine Delbès, doctorante et chercheuse au département d’urologie du Centre universitaire de santé McGill, a publié en 2007 une analyse critique de la fameuse étude de 1992 qui avait mis le feu aux poudres. Pour elle, plusieurs facteurs rendent hasardeuse la comparaison des données : tout d’abord, l’absence d’un protocole standardisé de collecte, notamment le contrôle de la durée d’abstinence avant le don, qui peut beaucoup influer sur la richesse du sperme; ensuite, l’absence de standardisation des procédures de comptage des spermatozoïdes; enfin, le mode de vie des donneurs – fumeurs ou non, exposés ou pas à certaines substances – ou encore leur race. Autant de variables qui ont une réelle incidence et qui n’ont pas forcément été prises en considération.

Un traitement plus poussé des données a également révélé des surprises : si on a bien une baisse globale sur un demi-siècle, on observe en revanche un plancher au courant des années 1960, suivi d’une légère remontée. Localement, dans la région de New York par exemple, on a même enregistré une augmentation du compte spermatique depuis 50 ans.

Alors, envolée la menace sur les mâles et sur la pérennité de l’espèce ? Malgré les fortes disparités régionales et temporelles, ces signes de déclin sont à prendre au sérieux, selon Bernard Robaire, doctorant, professeur au département de pharmacologie et de thérapeutique de l’Université McGill. Mais il précise qu’on est de toute façon très loin de la cote d’alerte : d’abord, les concentrations actuelles en spermatozoïdes restent quatre fois supérieures au seuil de la fertilité défini par l’OMS, luimême très sécuritaire. De plus, même si l’exposition à certaines substances semble pouvoir influer sur le sexe du foetus, les mammifères en général et les Hommes en particulier n’ont pas la capacité de changer de genre au cours de leur vie, comme les poissons ou les moules. Enfin, remarque-t-il, l’humanité dans son ensemble est plutôt confrontée à la surpopulation qu’à la dénatalité.

Encadré: McGill veut votre sperme

L’Université McGill cherche environ 300 donneurs de sperme sains entre 18 et 40 ans pour une nouvelle étude sur des perturbateurs endocriniens particulièrement nocifs et présents dans notre vie quotidienne, les phtalates. Ce programme de recherche vise à établir une corrélation entre le niveau de phtalates constaté chez un individu et les altérations de ses spermatozoïdes. À terme, l’objectif est de permettre la mise au point d’un produit de substitution non nocif.

Une seule visite à l’hôpital Victoria est nécessaire, au cours de laquelle un entretien permet de déterminer l’histoire médicale du candidat et d’écarter les antécédents d’incapacité reproductrice. Les donneurs devront avoir éjaculé pour la dernière fois entre sept et deux jours avant le prélèvement. Au Canada, des raisons éthiques empêchent la rémunération du don de sperme, mais une indemnité est offerte pour le transport.

Les responsables de l’étude espèrent collecter suffisamment d’échantillons assez rapidement pour pouvoir commencer les analyses au début du printemps. Messieurs, à vous de jouer. Joignez donc l’utile à l’agréable : pour une fois que ça peut aider la science et rapporter quelques dollars…

Renseignements : Lorraine Lavigne, 514-934-1934, poste 34037