Coppens au Quartanier : un vent de tragique

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Par Marie-France Mercier
mardi 11 novembre 2014
Coppens au Quartanier : un vent de tragique
Par l'humour et la personnification, l'oeuvre de Carle Coppen fait vivre la sélection humaine d'une espèce qui refuse de s'éteindre. (Crédit photo : flickr.com/grungetextures)
Par l'humour et la personnification, l'oeuvre de Carle Coppen fait vivre la sélection humaine d'une espèce qui refuse de s'éteindre. (Crédit photo : flickr.com/grungetextures)
Les éditions du Quartanier ont lancé cinq nouveaux titres le 23 octobre dernier à la librairie le Port de tête. Cette saison-ci, c’est la poésie qui est à l’honneur avec quatre titres sur cinq consacrés au genre, dont le recueil À qui se méfier de Carle Coppens, poète et directeur de création dans une agence publicitaire. Tenant à la fois du simple et du tragique, le recueil est l’idéal pour découvrir la poésie du Quartanier en moins de 100 pages.
Le côté tragique de « À qui se méfier » est sans contredit le point fort du recueil et incite à une relecture de Coppens.

Au fil des poèmes se dessine le visage d’un homme normal entre deux âges: le bel œdipeux. On comprend rapidement qu’un mal le travaille de l’intérieur. Il ne se reconnaît plus dans l’endroit qu’il habite et il est en décalage par rapport à lui-même. Sa relation avec l’autre s’essouffle, de même que leur intimité.

Deux femmes pour un homme

Le narrateur suggère une simple histoire d’infidélité, par laquelle l’homme tente de se retrouver lui-même, au risque de sombrer davantage dans le malheur. Par exemple, dans la « ville d’adultère », dans le « pays où les hommes ont deux femmes/ une pour l’amour/ l’autre pour le perdre », s’adonner à l’adultère semble inévitable.

Pour le lecteur, la question du « qui » s’impose : le bel oedipeux aimerait-il mieux son amante que sa conjointe? Le narrateur reste néanmoins obscur sur ce point, comme si les rôles – compagne ou amante – importaient peu. Il s’emploie plutôt à parler des difficultés éprouvées par l’homme : « dissimuler la vérité / tu y arrives de peine et de misère ».

Un narrateur de l’ombre

Un narrateur, un « je » invisible, s’adresse constamment au « bel œdipeux » en lui faisant nombre de mises en garde. Le voyant agir et constatant son état émotionnel, le narrateur veut encourager l’homme à la méfiance. Il veut qu’il se méfie des personnes qu’il laisse entrer dans son intimité. Le narrateur tangue entre une inquiétude compatissante et un ton de réprobation.

Fidèle à son style, tel que rencontré dans Poèmes contre la montre, Carle Coppens attache de l’importance au traitement des émotions et à l’étude des défauts humains. Par là, il réussit à nous tenir aux mots et au récit.

Échos d’un tragique lointain 

La poésie de Coppens n’est pas marquée par un grand lyrisme et elle va souvent du côté de la narration avec l’intrusion de phrases et de propositions complètes. « Tu t’affaisses mieux le soir/ dans les bistros banquettes sombres »

Le style est relativement simple, saisissable d’emblée. L’histoire d’adultère est également banale, déjà vue et très suivie. Pourtant, on sent un tragique se mettre en branle dès les premiers vers jusqu’à la fin.

« Penses-tu
un désespéré comme aujourd’hui
pour passer à l’acte devrait se rendre à l’évidence
il y a déjà tant de peine en chacun en chaque lieu
que le monde est saturé ».

À travers les poèmes, il y a aussi des filiations qui s’établissent entre l’homme et Oedipe, héros de la mythologie grecque : « tu manoeuvres de l’intérieur/ sans savoir quel chromosome fait pleuvoir ». L’homme questionne ses origines, tout comme le héros grec. On peut soupçonner également un certain aveuglement oedipien de l’homme, car il ne sait visiblement pas de qui se méfier. Son destin lui échappe. Sinon, les références demeurent disparates et peu développées. Le lecteur peut rester sur sa faim.

Au reste, le tragique de À qui se méfier est sans contredit le point fort du recueil et incite à une relecture de Coppens.