Contestation et théories du complot : la pandémie favorise-t-elle la radicalisation ?

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Par Romeo Mocafico
vendredi 2 octobre 2020
Contestation et théories du complot : la pandémie favorise-t-elle la radicalisation ?
Photo d'illustration non contractuelle. (Crédit : Courtoisie Pixabay)
Photo d'illustration non contractuelle. (Crédit : Courtoisie Pixabay)
Quartier Libre s’est entretenu avec Roxane Martel-Perron, directrice de l’éducation et du développement des compétences au Centre de la prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) pour comprendre l’évolution des notions de violence et de radicalisation dans le contexte de la COVID-19.

Quartier Libre : Qu’est-ce que la radicalisation ?

Roxane Martel-Perron : La radicalisation, c’est le processus par lequel les gens vont devenir de plus en plus radicaux, plus rigides. Ils vont se cristalliser dans une façon de voir les choses.

Q.L. : Comment évolue ce phénomène avec le contexte actuel ?

R.M-P. : Il y a des parallèles à faire entre radicalisation et le mouvement qu’on voit présentement, avec les anti-masques et anti-mesures sanitaires. Il ne faut bien entendu pas généraliser, car ce n’est pas tout le monde qui s’oppose aux mesures. Mais oui, on voit une cristallisation dans le mouvement présentement. C’est définitivement un contexte très polarisé, de façon générale.

Au CPRMV, on remarque, en tout cas, que des personnes sont préoccupées par la situation actuelle. On le remarque dans nos appels, dans les webinaires, mais aussi dans la société où on l’entend toutes sortes de préoccupations.

Q.L. : Quels liens peut-on faire entre violence et radicalisation ? Y a-t-il plus de violence avec la pandémie ?

R.M-P. : Ce sont deux notions distinctes. D’un côté, on a la radicalisation, le fait d’être très rigide, campé dans une posture, et de l’autre, la violence. Ce n’est pas parce qu’on est radical qu’on est forcément violent.

Ce qu’on remarque en ce moment, c’est que certaines personnes, pas la majorité, fort heureusement, ont posé des gestes violents. C’est difficile de quantifier de façon générale les gestes de violence, car ce sont des gestes isolés, qui représentent une minorité d’individus. On a surtout remarqué une hausse au niveau des actes à caractère haineux.

Q.L. : Comment se manifeste cette violence ? 

R.M-P. : Elle peut aller de menaces directes envers des personnes, comme des journalistes ou des élus, ou prendre la forme d’actes haineux envers certaines communautés. Elle peut, dans certains cas, appeler à des moyens d’action « plus grands », pour manifester contre les mesures : certaines personnes appellent à renverser le gouvernement, à faire arrêter le premier ministre ou Horacio Arruda [le directeur national de santé publique du Québec, NDLR]. Ce sont des exemples ou soit on utilise la violence, soit on la légitime.

Q.L. : Peut-on parler de radicalisation lorsqu’on évoque des théories du complot ?

R.M-P. : Il ne faut pas faire d’amalgame entre théorie du complot et radicalisation violente. Ce n’est pas parce qu’on adhère à une théorie qu’on va forcément utiliser la violence. Par contre, dans la radicalisation violente, il y a une très forte popularité, une prépondérance des théories du complot. Ça, on le remarque dans tous les types d’extrémisme. L’extrême droite en est aussi particulièrement friande.

C’est ce qu’on remarque en ce moment. Dans les mouvements anti-masques, certaines théories, non fondées, sont mises de l’avant pour justifier l’utilisation de moyens d’actions violentes. L’un peu mener à l’autre, mais pas forcément.

Q.L. : Comment considérez-vous l’importance des réseaux sociaux dans ce phénomène de radicalisation ?

R.M-P. : Les réseaux sociaux sont un outil. Ce qui peut être problématique, c’est l’usage que l’on en fait. C’est définitivement un lieu où l’on a une grande propagation à la fois de théories du complot, mais aussi de désinformation et de fausses nouvelles. Elles peuvent être très propices à la radicalisation violente. C’est sûr que c’est à prendre en considération lorsqu’on analyse le contexte actuel.

Les réseaux sociaux fonctionnent comme des chambres d’échos. Ils nous proposent des contenus qui répondent à ce que l’on cherche. C’est pourquoi, au CPRMV, on mise beaucoup sur comment bâtir la résilience des individus face à ce que l’on retrouve sur les réseaux. La réponse est vraiment dans l’éducation, dans la sensibilisation, pour être en mesure de permettre aux gens d’être moins vulnérables par rapport à ce qui circule en ligne.

Q.L. : Au Centre, vous vous attardez principalement sur le volet de la prévention. Comment se met-elle en place ?

R.M-P. : On ne peut pas attendre d’avoir des problématiques violentes avant d’intervenir, d’où, justement, notre travail de prévention. Notre approche se veut communautaire, très proche des citoyens et citoyennes et des professionnels de tous milieux. Un des piliers de notre approche est l’éducation. On forme, on sensibilise en ligne et hors-ligne. On apporte de l’information et du soutien en lien avec les théories du complot, les attaques à caractère haineux, ce genre de thématiques.

On offre aussi un service d’accompagnement à la fois individuel et collectif grâce à la plateforme Info-Radical*, une ligne d’écoute anonyme et confidentielle. Nous sommes aussi présents en ligne à l’aide de webinaires qui proposent des thématiques comme « Comment engager le dialogue avec une personne qui adhère à des théories du complot ?» ou « Les théories du complot à caractère haineux », par exemple.

*La ligne Info-Radical est disponible au +1 (514) 687-7141 (Montréal), +1 (877) 687-7141 (ailleurs au Québec) ou sur le site Internet www.info-radical.org.