Depuis le 27 septembre dernier, des conflits armés ont lieu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les deux anciennes républiques soviétiques se disputent depuis 30 ans la région du Haut-Karabakh. La directrice académique au Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM (CÉRIUM), Magdalena Dembinska, revient sur les origines de ce conflit.
Quartier Libre : Quelle est l’histoire du Haut-Karabakh, cette région arménienne enclavée en Azerbaïdjan ?
Magdalena Dembinska : L’histoire remonte au début du XXe siècle. En 1917, peu de temps après la révolution bolchévique, une guerre civile a éclaté en Russie. Pendant plusieurs années, l’URSS s’est formée, les bolchéviques ont voulu se faire des alliés et attirer les populations dans la périphérie de l’ancien empire russe.
En 1921, Staline a décidé d’octroyer la région du Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan. C’était un jeu politique pour amadouer les Azéris, et parce qu’il avait peur que la Turquie intervienne à cette époque. Cependant, l’Arménie est présente sur ce territoire depuis 1994, un état de facto* s’y est développé. Cette région est considérée par les Arméniens comme le berceau de leur culture. L’Azerbaïdjan veut, de son côté, récupérer ces territoires « occupés ».
Pourquoi est-ce qu’on parle d’un conflit « gelé » ?
M. D. : C’est un conflit qu’on appelle « gelé » d’un point de vue diplomatique. Cette guerre civile, à l’époque, n’a jamais abouti à un traité de paix, mais juste à un cessez-le-feu. Depuis 1994, il y a des tensions entre les deux pays, ce n’est pas la première fois qu’il y a des affrontements armés. Il y a une détermination, des deux côtés, à ne pas lâcher prise.
Comment se positionnent les puissances régionales, comme la Russie et la Turquie, face à ce conflit ?
M. D. : Ce n’est pas nouveau que la Turquie appuie l’Azerbaïdjan. C’est un pays turcophone et musulman, deux éléments culturels qui lient les deux pays. On est aussi dans un contexte de jeu géopolitique régional où la Turquie veut se créer une place. Une alliance avec l’Azerbaïdjan la positionne face à la Russie.
La Russie, de son côté, est une alliée de l’Arménie. Non seulement, il y a une base militaire russe en Arménie, mais en plus, celle-ci fait partie de l’Organisation du traité de sécurité collective et l’Union économique eurasiatique, des alliances militaires centrées à Moscou. Bien que la Russie vende des armes autant à l’Azerbaïdjan qu’à l’Arménie, c’est avec cette dernière qu’elle est en alliance militaire.
Pensez-vous qu’un débordement est possible ?
M. D. : Oui, il est certain que les demandes du président de l’Azerbaïdjan, sur le fait que l’Arménie se retire totalement des territoires occupés, ne passeront jamais. L’escalade des tensions est inquiétante. Ça pourrait devenir, si ça ne l’est pas déjà, une guerre entre les deux pays.
Il faut savoir que l’Arménie est beaucoup moins armée que l’Azerbaïdjan. Ce dernier a investi des sommes énormes dans des dépenses militaires et en armement. Il a des ressources naturelles que l’Arménie n’a pas, il a beaucoup de pétrole, il est tout simplement plus riche. L’Azerbaïdjan est plus indépendant de la Russie que l’Arménie ne peut l’être.
Quelle tournure pourrait prendre ce conflit ?
M. D. : Le danger viendra si les puissances régionales s’en mêlent. On serait alors dans un conflit internationalisé qui dépasserait les frontières du Caucase du Sud, avec la Turquie et la Russie qui s’affronteraient directement.
Il y a deux possibilités :
- soit les hostilités s’achèvent et on retourne au statu quo, donc à un conflit gelé, et je doute fort que ce soit un traité de paix qui résolve la situation;
- soit c’est la guerre. La Turquie, en tout cas dans ses paroles, indique qu’elle est prête à tout faire pour appuyer l’Azerbaïdjan. L’aggravation majeure possible est que la Turquie intervienne militairement dans le conflit. Si la Turquie n’intervient pas, je ne pense pas que la Russie le fera. Elle n’a aucun intérêt à ce que la Turquie s’en mêle. Jusqu’à maintenant, c’est elle qui détient les cartes dans la région.
Pourquoi la possibilité d’un traité de paix est-elle difficile à envisager dans ce conflit ?
M. D. : Ça voudrait dire que l’Azerbaïdjan accepte que l’Arménie occupe un tiers de son territoire. C’est rare qu’un État accepte une telle défaite et son démembrement territorial. De plus, ça serait très impopulaire, parce que les citoyens azéris défendent l’intégrité territoriale de leur pays. Du côté de l’Arménie, c’est la même logique. Ça fait 30 ans que ce territoire de facto fonctionne. C’est impensable de redonner ce noyau culturel arménien à l’Azerbaïdjan.
*En droit international, la reconnaissance diplomatique de facto est l’acte politique unilatéral par lequel un État reconnaît un autre État ou son gouvernement, de façon officielle.