Entre le Mile-End et Laurier Est, au 5e étage d’un édifice qui réunit les 300 artistes du regroupement Pied Carré dont il fait partie, le compositeur Olivier Alary a ouvert son studio à Quartier Libre. Les dessins de son fils Julian, 6 ans et demi, ornent la porte. « C’est chez moi, c’est une extension, décrit ce père de deux garçons. Quand mes enfants viennent, c’est le bordel total. Ils jouent. L’un tape ici de manière répétée, l’autre sur la cymbale ; après, l’un veut jouer sur la guitare, il y joue trente secondes, puis il veut jouer sur le synthé, etc. C’est assez rigolo. » Comme ses enfants, il explore de nombreuses façons de faire des sons « sales », « fragiles » et « distordus ».
Au bout de quelques minutes, Olivier partage un enregistrement pour une pièce dans laquelle il fait intervenir, sur une guitare Lap Steel… une lime à ongles. Puis il sort plusieurs tuyaux de machine à laver, les déroule et décrit l’évolution du son. « Si tu mets à l’intérieur un micro et ton oreille, ça peut sonner énorme », poursuit le musicien. Il fait ensuite tourner l’un des tuyaux au-dessus de sa tête : le son du vent retentit.
L’amour du son « sale »
Cet ancien étudiant de l’Université de Montréal, âgé de 46 ans et titulaire d’une maîtrise en composition et création sonore de la Faculté de musique obtenue en 2019, explique qu’il est à la recherche de la fragilité du son. « J’ai toujours aimé rendre les sons plus fragiles, plus humains que les « sons clean », détaille-t-il. Venant du punk, du noise, je préfère les sons distordus. Il y a quelque chose de très poignant là-dedans. »
Enfant, Olivier rayait les disques et les cassettes et observait le son produit. « Quand je veux des dégradations de cassette, je sors la bande et je la tords, explique-t-il. Elle est tout abîmée, et ça, ça peut te donner des fragmentations. Après, tu prends ton signal, tu l’enregistres sur une première cassette et tu passes d’une cassette à une autre jusqu’à le détruire. »
Depuis plus de 20 ans, le compositeur s’amuse à expérimenter ce type de processus, cherchant des rendus sonores particuliers. « Ce qui m’intéressait, c’était de faire mal jouer les instruments, parce que le trait virtuose ne m’intéressait pas vraiment », révèle-t-il.
Cette passion folle l’a amené à recevoir le prix Valois de la musique au Festival du film francophone d’Angoulême le 29 août dernier pour le film La nuit des rois, du cinéaste franco-ivoirien Philippe Lacôte. Le réalisateur y aborde le milieu carcéral ivoirien : un nouveau prisonnier doit utiliser ses talents de conteur pour survivre. Le film a également reçu le prix Valois de la mise en scène.
Une musique de film remarquée
Olivier considère d’ailleurs cette oeuvre comme la plus intéressante de sa carrière. « La nuit des rois, c’est une vitrine de ce que j’ai fait de plus intéressant en musique de film pendant 12 ans », affirme-t-il.
Le long parcours musical de l’artiste l’a mené à cette récompense. Après avoir échangé sur ses procédés musicaux, démonstrations à la clé dans son studio, Olivier aborde son cheminement. « En 2006, je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne la musique », confie-t-il. S’il avait déjà travaillé dans le domaine, sorti plusieurs disques et même travaillé avec Björk sur ses titres Sun in my mouth, Cocoon, Desired constellation et Mouth’s Craddle, il ne savait pas « lire la musique ». « Je ne savais pas jouer du piano, avoue le compositeur. Je savais jouer de la guitare, mais je ne savais pas ce que je faisais. Je jouais à l’oreille et j’assemblais à l’ordinateur. Celui-ci m’a permis de construire ce que j’avais en tête. »
Passionné depuis sa tendre enfance par la musique, Olivier a mis du temps à l’envisager comme un parcours professionnel. « Le solfège, le conservatoire… tous ces trucs étaient pour inatteignables », révèle-t-il. Il estime que l’Université de Montréal l’a aidé à trouver « du sens ». « Après 20 ans de « solfège interne » et d’expérimentation, je me suis demandé pourquoi je faisais ça », ajoute-t-il. Alors qu’il appréhendait « l’instrumentarium classique », l’autodidacte se demandait également ce qu’il pourrait lui apporter.
Ce n’est qu’en 2017, à l’âge de 42 ans, qu’Olivier s’est inscrit à la maîtrise en composition et création sonore de la Faculté de Musique de l’Université de Montréal. « Je n’avais aucune formation académique en musique, précise le musicien. L’UdeM m’a poussé à être professionnel au niveau du langage de la représentation de la musique. Ça a été un électrochoc, parce que j’étais forcé de jouer avec des gens qui avaient besoin d’une partition. »
Des études aux musiques de film
Olivier reconnaît que ses études en musique lui ont donné les clés (de sol et de fa !) qui lui manquaient. « L’UdeM m’a offert une plateforme pour synthétiser et rationaliser mon approche », exprime-t-il avec gratitude.
Lorsqu’il a composé la musique de La nuit des rois, Olivier a particulièrement aimé travailler avec des instruments acoustiques et les utiliser pour créer des sons électroniques. « C’est comme si j’avais créé un orchestre utopique », se réjouit-il. Il explique que seule une dizaine de musiciens a participé à ce projet, mais que grâce à un processus de superposition, la musique du film semble jouée par une centaine de musiciens. « Ça donne une patte, c’est hallucinant, s’enthousiasme le compositeur. Ça sonne plus gros qu’un orchestre. » Il souligne également que s’il a enregistré le son des instruments « solos » dans son studio, il a enregistré ceux des percussions à l’UdeM.
Actuellement, Olivier travaille sur un projet un peu plus personnel auquel il pense depuis plusieurs années. Il constitue un dossier pour une demande de bourse en recherche et création afin de composer une pièce musicale. L’idée est de créer une performance de trente minutes, de la documenter, de l’enregistrer, de la filmer et de la diffuser. « Sur scène et avec un public, douze personnes joueraient de la guitare Lap Steel », détaille-t-il. En parallèle, il suit toujours des cours de composition : « L’apprentissage n’est jamais fini. »