«C’est si plaisant de voir son travail se manifester par plusieurs personnes et d’entendre une performance sonore en temps réel, qu’elle soit réalisée par des étudiants interprètes ou non, affirme l’étudiant au baccalauréat en écriture et composition Mikhaël Bureau. Beaucoup de compositeurs jouent également des pièces d’autres compositeurs. »
Pourtant, selon Mikhaël, le style des apprentis compositeurs, jugé trop expérimental,effraie parfois les étudiants en interprétation qui préfèrent se consacrer à un répertoire plus classique. « La plupart des interprètes préfèreront jouer une sonate de Beethoven, plus facile à apprendre et dont le succès populaire est garanti, plutôt qu’une œuvre écrite par un compositeur inconnu, dissonante et dont la couleur musicale est loin de faire l’unanimité », croit-il.
La professeure à la Faculté de musique de l’UdeM Ana Sokolovi? estime également que certains interprètes sont plus sensibles à la musique contemporaine que d’autres. « C’est tout de même important de leur faire découvrir ce répertoire, pense-t-elle.Quand on parle de musique baroque, romantique et classique, on sait à quoi s’attendre.La musique contemporaine, au contraire, est très diversifiée. Mais notre rôle est de bien préparer nos étudiants, ils doivent être initiés à tous les styles sans exception. » Selon la professeure,la sonate de Beethoven n’est d’ailleurs pas plus facile à apprendre qu’une œuvre contemporaine.
« Actuellement, les étudiants interprètes vont jouer les compositions des apprentis compositeurs dans les cours d’ensembles comme les résidences, dans les orchestres ou encore dans les concerts du CéCo [NDLR : Cercle des étudiants compositeurs de l’UdeM, un projet étudiant qui permet de jouer sur scène les œuvres des apprentis compositeurs], dans lesquels les étudiants s’organisent entre eux », explique la professeure.
Concilier les deux mondes
D’après l’étudiant au doctorat en musique – Interprétation Blair Mackay, dont l’instrument de prédilection est le gamelan – ensemble instrumental indonésien –, la plupart des interprètes et des compositeurs vivent dans deux mondes séparés. « C’est à chacun de nous d’entrer en relation avec les compositeurs et vice versa, analyse-t-il. Une nouvelle idée, un nouveau son et de l’inspiration peuvent être trouvés dans chacune des collaborations, même dans les plus surprenantes. J’attends que les étudiants en composition repoussent les frontières de l’art autant que possible. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est le but recherché. »
Les étudiants compositeurs doivent trouver par leurs propres moyens des interprètes, d’après Mikhaël. Une seule de ses compositions a déjà été jouée, lors d’un concert du CéCo. « C’était une pièce pour contrebasse solo intitulée Hautes tensions, interprétée avec brio par Marc-André Juteau, [NDLR : ancien étudiant au baccalauréat en musique – Interprétation] raconte Mikhaël. Marc-André s’est montré très enthousiaste et voyait là une opportunité de se démarquer en tant qu’interprète. » Cette volonté de s’attaquer à des répertoires plus expérimentaux est, selon lui, une attitude qui n’habite que rarement les interprètes.
Les jeunes compositeurs qui aimeraient voir leurs œuvres jouées par des étudiants interprètes doivent aussi penser l’écriture de leurs compositions en fonction des possibilités de ces derniers, selon Mme Sokolovi?.« Les apprentis compositeurs doivent composer des pièces qui pourront être jouées, affirme-t-elle. Écrire pour sept contrebasses ou pour des instruments que nous n’avons pas à l’UdeM n’est pas réaliste. »
Chaque année, l’Orchestre de l’UdeM, dirigé par le chef d’orchestre Jean-François Rivest, organise un concours de composition s’adressant aux étudiants de la Faculté de musique. À cette occasion, deux apprentis compositeurs sont choisis pour écrire des pièces qui seront jouées par les musiciens de l’orchestre. « C’est une bonne manière de confronter les étudiants aux réalités du monde professionnel », estime Mme Sokolovi?.
Depuis son arrivée en 2007, Ana Sokolovi? organise des résidences d’étudiants en composition auprès des ensembles de la Faculté de musique offrant ainsi la possibilité à un apprenti compositeur d’écrire une pièce exclusive qui sera jouée par les étudiants musiciens. « Durant le premier trimestre, les étudiants écrivent la composition tout en assistant aux répétitions hebdomadaires des ensembles, ils se familiarisent avec le son et la technique, ils sont vraiment en contact avec les étudiants en interprétation, explique-t-elle. Une fois les œuvres terminées au mois de janvier, les apprentis interprètes commencent les répétitions pour le concert de fin d’année. »
Pour la professeure, la musique d’aujourd’hui ne doit pas remplacer celle de Beethoven et doit au contraire s’intégrer dans le répertoire. « Les étudiants au baccalauréat sont obligés de jouer au moins une œuvre de musique contemporaine durant leur cursus. » Elle espère que le même règlement sera bientôt appliqué aux cycles supérieurs.