Volume 28

Monica, Jules Lasalle, 1985. OEuvre située à la Promenade Père-Marquette. Photo : Paul Fontaine.

Communauté étudiante sourde : écoutée ou mal entendue ?

Les personnes sourdes et malentendantes devaient déjà faire face à une myriade d’obstacles pour atteindre l’accessibilité universelle avant la pandémie. Depuis l’éclosion de celle-ci, les masques se sont ajoutés à leur fardeau. Un an et demi après le début de la crise sanitaire, tous les étudiants et étudiantes doivent porter des masques.

Ces masques représentent ainsi une barrière supplémentaire à la compréhension, surtout lorsque l’auditeur ou l’auditrice avec qui la personne sourde ou malentendante discute n’est pas capable de signer, c’est-à-dire de parler en langue des signes.

Cette situation touche notamment une dizaine d’étudiantes et étudiants sourds et malentendants à l’UdeM, une dizaine d’autres à HEC Montréal et sept à Polytechnique Montréal, selon les chiffres fournis par ces établissements. La porte-parole de l’UdeM Geneviève O’Meara précise que ces statistiques peuvent être incomplètes, car « tous les handicaps sont à déclaration volontaire ». Il est à noter que l’Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap recensait 276 personnes fréquentant une université québécoise qui étaient atteintes d’une déficience auditive pour l’année scolaire 2019-2020.

Des masques transparents

L’Université de Montréal a souhaité remédier à la situation. « L’UdeM a donné la possibilité aux étudiantes et étudiants [sourds et malentendants] de venir au SESH [NDLR : Soutien aux étudiants en situation de handicap] pour se procurer des masques à visière, informe Mme O’Meara. Ils peuvent s’en procurer le nombre qu’ils souhaitent pour ensuite les distribuer à leurs interlocuteurs, soit leurs professeurs ou coéquipiers de travaux d’équipe. »

Les couvre-visages à visière sont des masques de procédure dotés d’un écran transparent qui laisse apparaître la bouche. Ils sont conformes aux règles sanitaires en place dans les établissements scolaires et universitaires, et réutilisables plusieurs fois.

« Les masques transparents ne changent rien pour moi, parce qu’en général, je ne lis jamais sur les lèvres », témoigne l’étudiant sourd en génie environnemental et énergétique Kevin Mayeux, actuellement en échange à Polytechnique. Il explique que lire sur les lèvres est fatigant et qu’il ne comprend pas toujours ce que les professeurs disent.

Kevin Mayeux n’est pas le seul à trouver ardu de lire sur les lèvres. L’étudiante au certificat en journalisme Mireille Saab, partiellement sourde, n’est pas non plus convaincue que les couvre-visages transparents soient utiles pour une personne qui, comme elle, ne maîtrise pas parfaitement la lecture labiale.

Une communauté diverse aux enjeux variés

Les masques à visière et la lecture sur les lèvres ne garantissent donc pas une accessibilité à tous et à toutes au cursus universitaire. En effet, une partie de la communauté étudiante sourde et malentendante a besoin d’un ou une interprète en langue des signes pour comprendre les cours.

Au Canada, les personnes sourdes et malentendantes utilisent deux langues signées : la langue des signes québécoise (LSQ) et la langue des signes américaine (ASL). Puisque certaines d’entre elles ne lisent pas sur les lèvres, les utiliser est une solution adaptée. « Des personnes sourdes parlent la LSQ et d’autres ne la parlent pas », déclare la conseillère en accessibilité universelle en loisirs de l’association de lutte pour l’accessibilité universelle AlterGo, Cate Lawrence.

À la LSQ et à l’ASL s’ajoutent également les langues des signes en vigueur dans d’autres pays. Puisque la communauté udemienne compte un quart d’étudiants et étudiantes en provenance de l’étranger, cette diversité pourrait représenter un important enjeu pour l’accessibilité. La langue des signes française (LSF), par exemple, diffère de celle du Québec, tout comme la langue des signes britannique (BSL) diffère de l’américaine.

« Il y a une grande diversité dans tous les handicaps, souligne Mme Lawrence. Tout le monde a ses propres besoins, tout le monde est différent. » C’est pourquoi l’organisme à but non lucratif Audition Québec, à l’instar de nombreux autres organismes d’information et de référence pour les personnes sourdes et malentendantes, reconnaît quatre degrés de surdité : légère, moyenne, sévère et profonde.

Mireille Saab a pour sa part une déficience auditive dans seulement une oreille, une situation qui peut sembler de prime abord peu dérangeante. « Ça me demande au contraire tellement de concentration pour écouter et traiter l’information… », confie l’étudiante.

Les conseillers du SESH lui ont donc proposé différentes pistes de solution, dont celle de demander au personnel enseignant et à ses camarades de classe de parler plus fort. Mireille Saab était néanmoins réticente et estime que cette option n’est pas efficace. « Les étudiants vont finir par l’oublier et recommencer à parler avec leur tonalité et leur articulation », anticipe-t-elle. C’est la raison pour laquelle elle a demandé au SESH que son professeur utilise un microphone et qu’un autre soit mis à la disposition de ses camarades lorsqu’ils désirent prendre la parole. Le service de soutien, son professeur ainsi que les étudiants et étudiantes de son cours ont accepté sa demande.

L’adaptation de la communauté sourde

En revanche, dans la mesure où Kevin Mayeux est en échange universitaire, le SESH l’a informé par courriel qu’aucun budget ne pouvait lui être alloué pour lui offrir les services d’un interprète en LSQ. Interrogée sur la situation, Mme O’Meara a répondu ne pas commenter les cas individuels.

En classe, l’étudiant se contente donc de lire les diaporamas. « Si certaines notions sont moins claires, je demande directement à la personne voisine quelques explications supplémentaires », explique-t-il. Kevin Mayeux ajoute être tout de même en mesure de suivre le déroulement de ses cours, car ce sont des cours de sciences mathématiques et d’informatique. Le contenu éducatif utilisé dans ces disciplines contient une foule de calculs, de formules mathématiques et d’équations algébriques, ce qui facilite sa compréhension de la matière.

Le jeune homme croit que les personnes sourdes et malentendantes qui étudient dans d’autres domaines pourraient rencontrer des difficultés plus importantes dans les cours où les professeurs et professeures recourent davantage à l’enseignement oral.

Des financements plus ou moins adéquats

L’un des obstacles pour l’accessibilité aux personnes sourdes et malentendantes dans les établissements universitaires résiderait dans le coût des mesures d’accommodement. Si une rampe d’accès, une fois installée, ne coûte pratiquement plus rien, les interprètes en LSQ représentent une dépense quotidienne. C’est ce qu’a souligné la professeure au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal Véronique Leduc, qui est elle-même sourde, lors d’une entrevue à l’émission d’AMI-télé Ça me regarde mise en ligne le 26 mars 2018 sur YouTube.

Pour satisfaire les besoins des étudiantes et étudiants sourds et malentendants, l’UdeM emploie des professionnels de la traduction en langue des signes. Mme O’Meara précise que l’Université a d’ailleurs signé des contrats avec des services de traduction en LSQ. Pour avoir accès à un ou une interprète, l’étudiant ou l’étudiante doit présenter un diagnostic de surdité à un membre du personnel attitré du SESH, qui se chargera ensuite d’évaluer ses besoins.

Mme Lawrence d’AlterGo souligne que de nombreux obstacles techniques à l’accessibilité pour les personnes sourdes et malentendantes existent. Lorsque son association visite un établissement public composé de personnes sourdes et malentendantes, elle s’assure que le corps enseignant utilise du matériel éducatif visuel et que des sous-titres sont disponibles pour les capsules vidéo. « Les questions écrites doivent être autant valorisées [que les questions orales] », ajoute la conseillère en accessibilité universelle en loisirs d’AlterGo. L’association vérifie également que les lieux sont suffisamment sécuritaires et demande systématiquement si l’établissement possède des alarmes incendie visuelles.

À l’évidence, un campus doit prendre en compte de multiples facteurs pour répondre aux standards de l’accessibilité universelle. Le chemin à parcourir vers cet idéal ne peut se faire seul. « L’accessibilité universelle est un processus de réflexion qui implique toutes les personnes concernées », insiste Mme Lawrence.

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