Commotions cérébrales: un fléau mieux considéré

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Par Patrick MacIntyre
jeudi 17 novembre 2022
Commotions cérébrales: un fléau mieux considéré
Le sport est une composante importante de tout mode de vie sain. Le risque de subir une commotion cérébrale* est cependant plus élevé chez les sportif·ve·s, un constat que les partisan·e·s des Dolphins de Miami** ont pu faire en début de saison. Les Carabins et l’UdeM sont à l’avant-plan de la prise en charge et de la recherche sur cette blessure, dont la visibilité prend de l’ampleur.
«Chez les Carabins en particulier, on est dans le nec plus ultra de la prise en charge.»
- Dave Ellemberg, neuropsychologue et professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’UdeM

Lors d’un match contre les Bills de Buffalo le 25 septembre dernier, le quart-arrière Tua Tagovailoa parait sonné en se relevant à la suite d’un plaquage. Des médecins l’auscultent et le jugent apte à terminer la rencontre. Quatre jours plus tard, au cours du match suivant, il gît sur le terrain, victime d’une commotion cérébrale qui exige une hospitalisation.

Le neuropsychologue clinicien et professeur au Département de chirurgie de l’UdeM Louis de Beaumont explique que les athlètes d’élite tels que ceux des Carabins sont plus à risque que les athlètes du dimanche de subir des commotions, en raison du grand nombre d’heures d’entraînement et de la force des impacts. Cependant, ceux de haut niveau ont accès à des soins de qualité.

«Chez les équipes universitaires en général, et les Carabins en particulier, on est dans le nec plus ultra de la prise en charge», affirme pour sa part le neuropsychologue spécialisé en commotions cérébrales et professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université Dave Ellemberg.

Valérie Courtemanche-Martel, joueuse de troisième ligne au rugby et étudiante en première année au doctorat en médecine. (Crédit: James Hajjar, courtoisie)

 

La joueuse de rugby de troisième ligne Valérie Courtemanche-Martel, également étudiante en première année au doctorat en médecine, peut témoigner des soins de l’équipe de prise en charge multidisciplinaire. Elle a subi sa première commotion cérébrale chez les Carabins, laquelle était la deuxième dont elle était victime, à la fin de l’été 2016, alors qu’elle participait à son premier camp de sélection. Elle a ainsi passé la totalité de sa première saison sur la touche. «Médecin, physiothérapeute, ostéopathe, neuropsychologue… j’ai vraiment vu plusieurs spécialistes, énumère-t-elle. Ça démontre qu’on est bien encadré.»

L’édition 2017 des Carabins à l’occasion d’un match contre le Rouge et Or. (Crédit: Violettepixel, courtoisie)

Les mentalités semblent avoir beaucoup évolué ces dernières années, selon certains Carabins. L’ancien receveur et retourneur de l’équipe de football des Carabins Jacob Vachon, qui a suivi des cours au certificat en sécurité et études policières, se remémore ses débuts au football, il y a une douzaine d’années, une époque pas si lointaine où les commotions n’étaient pas prises au sérieux.

«Les commotions, c’était un peu un mythe, se souvient-il. On passait les mardis et mercredis à se taper dessus pendant une heure ou deux. Les coups de casque étaient presque obligatoires.»

Les propos de M. Vachon rejoignent ceux du docteur Ellemberg, qui illustre l’évolution des connaissances sur cette blessure au début de sa carrière, il y a vingt ans. «La première fois que j’ai soumis une demande pour faire une étude là-dessus, un comité d’éthique l’a initialement rejetée, révèle-t-il. Le comité disait que ce n’était pas une question pertinente.»

Un diagnostic toujours difficile

 Selon les intervenants et les athlètes, la commotion cérébrale est néanmoins une blessure qui reste difficile à diagnostiquer. Jacob Vachon ajoute que son diagnostic dépend aussi beaucoup de l’honnêteté des athlètes, car ces dernier·ère·s ont conscience du protocole rigoureux au sein des Carabins. «J’ai déjà passé deux ou trois secondes par terre, mais tu sais que si tu te fais sonner, tu dois te relever vite, sinon tu entres dans le protocole», précise-t-il.

Rosalie Authier, ailière au rugby et étudiante en quatrième année au baccalauréat en enseignement de l’éducation physique et à la santé. (Crédit photo: Siuxysports, courtoisie)

Plusieurs athlètes interrogés partagent le même avis. «On a beau avoir la meilleure équipe médicale sur place, si on ne lui partage pas nos symptômes, elle ne peut pas nous aider», souligne l’étudiante en quatrième année au baccalauréat en enseignement de l’éducation physique et à la santé Rosalie Authier, ailière au sein de l’équipe de rugby des Carabins.

Le docteur Ellemberg tend à leur donner raison. «C’est une blessure qui est invisible, donc certains vont avoir tendance à la minimiser, même parfois ceux issus du monde médical», témoigne-t-il. Le docteur de Beaumont est quant à lui sans équivoque : «Après un grand coup, il faudrait sortir l’athlète automatiquement, affirme-t-il. On ne peut pas continuer à se fier aux symptômes autorapportés alors que l’athlète est confus.»

Au début de sa carrière de rugby, Valérie Courtemanche-Martel s’était imposé une règle : si elle subissait trois commotions, elle arrêterait de pratiquer ce sport. Lors du dernier match de la saison 2019 contre les Gaiters de Bishop’s, une joueuse est tombée sur elle après un plaquage. Bien qu’elle se soit doutée que quelque chose n’allait pas et qu’elle ne se soit pas bien sentie, elle a tout de même fini la rencontre et partagé ses symptômes avec sa physiothérapeute seulement 24 heures plus tard. «Je voulais être certaine que c’était la fin», explique-t-elle.

La joueuse n’avait pas basé cette règle sur des recherches scientifiques, mais la science lui donne raison. Selon le docteur Ellemberg, le risque d’avoir des séquelles graves à long terme augmente en effet beaucoup après trois commotions en moyenne. Il conseille aussi de reconsidérer sérieusement la pratique d’un sport de contact après trois de ces blessures.

Un projet novateur à l’UdeM

L’UdeM serait d’ailleurs à l’avant-plan des plus récents développements dans la recherche sur les commotions cérébrales. Le docteur de Beaumont et son équipe s’impliquent dans plusieurs projets de ce domaine, notamment pour tenter de comprendre si des facteurs génétiques rendent  certains  individus plus vulnérables ou si un médicament pourrait être conçu pour contrer la cascade chimique déclenchée dans le cerveau par les commotions.

Une commotion céré­brale est une blessure au cerveau qui peut mener à des conséquences sérieuses, à court et à long terme. Selon le docteur Dave Ellemberg, neuropsychologue et professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’UdeM, celles-ci peuvent aller du simple mal de tête à une neurodégénérescence du cerveau.

L’un des projets qu’il mène depuis quelques années implique des joueurs de football ainsi que des joueuses de rugby des Carabins. L’un des doctorants de son équipe, l’étudiant en quatrième année en neuroscience  cognitive au Département de psychologie Samuel Guay, explique que des capteurs sont placés sur les casques et les protecteurs buccaux de certain·e·s athlètes pour mesurer les impacts des coups que ces dernier·ère·s subissent, et que d’autres instruments captent leurs signes vitaux.

Les données saisies sont ensuite comparées à des résultats d’IRM que passent les athlètes à divers moments de la saison. Le but de cet exercice est de déterminer si une accumulation d’impacts à la tête cause des lésions cérébrales, même si ces impacts ne sont pas considérés comme des commotions. L’objectif consiste également à déterminer si d’autres facteurs, tels que la fatigue ou la fréquence cardiaque, augmentent les conséquences d’un traumatisme.

Athlète malgré tout

Après sa convalescence et le repos imposé par la pandémie, Valérie Courtemanche-Martel s’est sentie beaucoup mieux. À l’approche de la saison 2022, le désir de pratiquer le sport qu’elle aime tant était trop fort.

Malgré les doutes, elle a obtenu l’approbation de son médecin pour revenir au jeu. Celui-ci lui a conseillé de faire preuve de vigilance. Au cours du quatrième match de la saison, elle a été victime d’une autre commotion cérébrale. Pour elle, jouer au rugby est désormais réellement exclu.

L’histoire de Valérie Courtemanche-Martel n’est pas unique. Même en étant bien informé·e des dangers des commotions cérébrales, encadré·e par une équipe médicale de haute qualité, dans un milieu où ces blessures sont prises au sérieux, un·e athlète demeure un·e athlète. L’étudiante avait pris la décision de rejouer en pleine connaissance de cause, l’attrait pour son sport étant trop puissant. « Je suis en paix, confie-t-elle. Je savais que c’était un risque, mais j’ai pu réessayer comme je le voulais. »

* Aux fins de cet article, le terme « commotion cérébrale » fait référence à un traumatisme crânien d’origine sportive.

** Les Dolphins de Miami est une équipe de football professionnel évoluant dans la « National Football League (NFL) ».