Certains départements de l’UdeM utilisent des animaux pour réaliser des expérimentations. Si des professeurs estiment que l’Université encadre et supervise suffisamment l’utilisation d’êtres vivants, d’autres prônent le renforcement de leur statut juridique ou l’interdiction complète d’expériences sur les bêtes.
«On travaille avec des animaux, souvent morts, explique la responsable des laboratoires d’enseignement de la Faculté de médecine vétérinaire du Département de biomédecine vétérinaire, Isabelle Daneau. Soit ils viennent de la SPCA [Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux], soit on les achète à des commerçants, indique-t-elle. Mais tout cela passe par le comité d’éthique. » À la Faculté de médecine vétérinaire, ces animaux, ou parties animales sont utilisés à des fins d’enseignement et non d’expérimentation. Mais peut importe la visée, pour qu’un professeur puisse travailler avec des animaux, il doit demander une autorisation au Comité de déontologie de l’expérimentation sur les animaux (CDEA) sur le campus principal de l’UdeM ou au Comité d’éthique de l’utilisation des animaux (CÉNA) pour la Faculté de médecine vétérinaire, située à Sainte-Hyacinthe. À Montréal, toutes les universités possèdent un comité d’éthique.
Chaque demande doit justifier le choix de l’espèce animale utilisée, les différentes manipulations subies par les animaux, la durée de l’expérimentation, les effets anticipés sur le confort et le bien-être des bêtes ainsi que les différents produits injectés ou prélèvements sanguins effectués, leur fréquence et leur voie d’administration. Après réception de toutes les informations, le CDEA choisira ou non de donner son aval en fonction des critères du Conseil canadien de protection des animaux (CCPA). C’est l’organisme national qui met en place des normes relatives à l’utilisation d’êtres vivants. « Les normes ne sont pas développées par l’Université, explique le porte-parole de l’UdeM Mathieu Filion. Il y a des protocoles qui proviennent du CCPA, et on s’y conforme. »
Le chercheur devra entre autres assurer le confort et le bien-être psychologique de l’animal, éviter de le soumettre à des souffrances ou à des angoisses inutiles. Si elles sont nécessaires, elles devront être réduites au maximum. En cas de vives souffrances sans possibilité de soulagement, l’animal devra être euthanasié.
Modifier le statut juridique ?
Pourtant, le statut actuel des animaux ne convient pas à tout le monde. « On ne reconnaît pas le fait qu’ils aient des sentiments, explique la vice-présidente du Fonds étudiant pour la défense juridique des animaux (FEDJA), Elizabeth Chen. Le comité composé d’étudiants en droit du campus a pour but de protéger les intérêts des animaux sur le plan juridique. Un manifeste revendiquant l’évolution du statut juridique des animaux dans le Code civil du Québec a été signé par 35 115 Québécois, dont six professeurs de l’UdeM.
« Je pense que ce manifeste est très positif et j’espère que les droits des animaux seront reconnus, se réjouit l’étudiante en biologie à l’UdeM Lisa Lahens. Je lutte contre les mauvaises conditions d’élevage en refusant de consommer des produits issus de telles pratiques. » Pour cette étudiante, allier ses études à sa morale représente un défi quotidien.
« C’est difficile de concilier mon végétalisme avec mes études, témoigne-t-elle. Je ne pense pas qu’on puisse se passer de l’expérimentation animale, mais à mon avis, on pourrait réduire le nombre d’animaux sacrifiés. »
Ce manifeste sur l’évolution du statut juridique des animaux ne fait pas l’unanimité. Mme Daneau n’est pas convaincue de la nécessité d’un droit légal. « Je pense que le comité d’éthique s’occupe déjà très bien d’eux, assure-t-elle. Un animal n’est jamais réutilisé deux jours consécutifs. »
La professeure au Département de sciences biologiques et experte en comportement et personnalité animales, Frédérique Dubois, ne souhaite pas arrêter le travail sur les animaux. « On ne les utilise pas par plaisir, mais parce qu’il y a des fins, explique-t-elle. Cela me semble fondé, même si on leur impose de la douleur. »
Égalité homme-animal ?
La coordonnatrice du Centre de recherche en éthique de l’UdeM (CREUM), Valery Giroux, n’a pas signé le manifeste, mais pour d’autres raisons. « Mes recherches en éthique animale m’ont fait adopter une position très radicale, raconte-t-elle. J’en suis venue à croire qu’on ne devrait se satisfaire de rien de moins que de l’égalité animale. Je n’ai rien à reprocher au texte. Cependant, je crains que cela crée une troisième catégorie juridique, autre que celle des biens et des personnes. »
Pour ce qui est de la recherche à l’UdeM et dans les autres institutions, elle estime qu’elles ne respectent pas les animaux. « Utiliser l’animal à des fins de recherches médicales, scientifiques et biologiques, c’est mal, soutient-elle. Peu importe l’animal et peu importe dans quelles conditions c’est fait, avec comité d’éthique ou pas. »
Malgré ce manifeste, Mme Giroux est plutôt pessimiste quant à l’avenir des droits des animaux. «Il est encore tôt pour apporter des changements législatifs, dit-elle. Les autres changements profonds de société ont pris plus de temps que cela. Je pense tout de même que tout aspire au végétalisme. »
S’il est encore difficile d’imaginer un avenir sans expérimentations animales à l’UdeM, l’utilisation d’animaux au sein des laboratoires est réglementée. Le comité d’éthique de l’Université tente d’encadrer encore plus les expériences par l’instauration d’une formation obligatoire pour tous les utilisateurs d’animaux et par la vérification minutieuse de chaque requête.
Des expériences transparentes
L’ancien étudiant à l’UdeM, doctorant en philosophie à l’Université Queen’s de Kingston et spécialiste de l’éthique animale Frédéric Côté- Boudreau invite l’UdeM à faire preuve de plus de transparence.
« L’Université devrait dévoiler le nombre d’animaux utilisés par département chaque année, les techniques d’effraction de la peau employées par les chercheurs, le montant investi dans la recherche faite sur les animaux ainsi que le nombre de recherches refusées et leur catégorie », soutient-il. M. Côté-Boudreau estime que l’UdeM ne fait pas assez d’efforts. Toutefois, chaque année, le campus doit transmettre au CCPA un rapport sur l’utilisation des animaux d’expérimentation incluant le niveau d’invasion des procédures subies par ces animaux. Les chercheurs doivent aussi justifier le nombre de bêtes utilisées.
Certaines universités ont décidé de publier leurs chiffres. Depuis trois ans, l’Université de Colombie-Britannique (UBC) est la seule université canadienne à avoir accepté de dévoiler les statistiques concernant les recherches faites sur les animaux.
Le doctorant et spécialiste reproche à l’UdeM de ne pas avoir adopté de règlement autorisant l’objection de conscience. «Si un étudiant refuse de participer à une dissection en classe, il sera pénalisé», explique-t-il. Pourtant les universités de Curtin et de Sydney en Australie ont adopté des politiques pour encadrer les objections de conscience.