Le mot est entre les lèvres de tous les cinéphiles, pourtant, le cinéma indépendant n’existe pas. En tout cas, pas dans le sens où on l’entend. L’Itunes Store, la plateforme de vidéos à la demande de Apple, nous propose dans son catalogue de films, un classement par genre. Ainsi, quelque part entre « horreur », « comédie » et « drame » se trouve la catégorie « indépendant ». Le cinéma « indé », comme on l’appelle aussi, a même son festival et son syndicat. Mais qu’est-ce que c’est, au fond, un film indépendant ?
Dans les catalogues de films ou en compétition à Sundance, se retrouve en réalité sous l’étiquette « indépendant » un mélange hétérogène de films. Sans grand rapport l’un avec l’autre, on peut y trouver Ida, Oscar du meilleur film étranger en 2015, Captives, le thriller d’Atom Egoyan, ou encore Le Garagiste, de la québécoise Renée Beaulieu. Ces films sont pourtant loin d’être indépendants : leur production a nécessité des subventions publiques, et ils sont tous distribués par des sociétés appartenant à de grands groupes, comme TVA, filiale du consortium québécois Québecor Media, qui gère les droits du Garagiste. Il n’y a donc ni indépendance économique, ni autonomie.
Bien sûr, la notion de cinéma indépendant se construit d’abord par contraste : c’est tout ce qui n’est pas Hollywood et les superproductions. Un cinéma pauvre, artistique et artisanal, à l’opposé du cinéma industriel et commercial de Avengers et de Star Wars. Le Garagiste a certes un budget faible, 30.000 $, mais c’est le double de Paranormal Activity, un film qui, dans l’esprit de chacun, se retrouve rarement catégorisé « cinéma indépendant ».
En réalité, c’est uniquement un jugement de valeur qui s’opère et qu’on fait, consciemment ou non, avant de voir un film, en supposant sa pertinence artistique. Nos attentes face à un film dit « indépendant » ne sont pas les mêmes que face à un film considéré comme grand public : on acceptera de s’ennuyer plus facilement, mais on sera plus exigent quant à la richesse du scénario ou à la qualité artistique de la mise en scène.
Don’t judge a book by its cover
Les grandes productions d’Hollywood, pourtant souvent considérés comme les grands ennemis du cinéma indépendant, l’ont bien compris. Chaque film est un produit, et chaque produit a une cible, un marché à satisfaire. Et le leader du marché du cinéma indépendant, c’est Hollywood. Comme les amateurs de films indépendants se méfient des studios, les studios ont choisi de se déguiser. Ainsi, aujourd’hui, toutes les grandes productions d’Hollywood ont leur filiale spécialisée en cinéma indépendant : la 20th Century Fox est propriétaire de Fox Searchlight Pictures, Disney à Touchstone Pictures, etc. Et de la même manière, le marché peut se segmenter à l’infini : Warner Bros. a une filiale spécialisée dans les films de genre et films indépendants visant un public large, New Line Cinema, qui elle-même détient une filiale spécialisée dans les films très pointus à destination des cinéphiles, Fine Line Features productrice entre autres de Dancer in the Dark, de Lars von Trier ou de Elephant, de Gus Van Sant.
« Cinéma indépendant », et ses corollaires « cinéma non commercial » et « cinéma émergent », ne sont que des termes de marketing. Le cinéma est par essence commercial, car toute production a un budget qu’il faut au moins rentabiliser. Un film comme Sexy Dance 2 est une œuvre émergente puisque c’est le premier film de son réalisateur. On peut donc juger des films avant de les avoir vus et se laisser aveugler par ce jugement hâtif, ou prendre les œuvres cinématographiques pour ce qu’elles sont : toutes égales dans leur diversité, toutes autant de chefs-d’œuvre potentiels que de navets en puissance.