Culture

Ciné-Campus : objectif, éveil des consciences

Aux commandes du Ciné-Campus se trouve une petite équipe. La coordonnatrice du cinéma, Annie Jussaume-Lavigne, vient tout juste d’entrer en poste. Pour cette rentrée, elle peut notamment compter sur l’aide de ses collègues de la branche culturelle des Services aux étudiants (SAÉ). Tous et toutes travaillent à la construction d’une programmation variée et, à première vue, engagée. « Je ne parlerais pas à 100 % d’un cinéma engagé, nuance toutefois la coordonnatrice. Je parlerais plus d’un cinéma d’actualité, pour faire réfléchir et découvrir. » 

L’équipe du cinéma universitaire vise un public large : la communauté étudiante, certes, mais aussi toute personne intéressée en dehors de l’Université. « S’il y a une actualité récente, nous l’incluons, poursuit Mme Jussaume-Lavigne. Nous voulons aussi montrer que nous participons à la mouvance en présentant un film sur ces sujets actuels. » La coordonnatrice du Ciné- Campus et ses collègues encouragent les spectateurs à s’interroger sur les faits diffusés dans les médias et à approfondir certaines connaissances sur d’importants enjeux de société. 

Jean-Philippe Chassé, doctorant en mathématiques et adepte du Ciné-Campus depuis plusieurs années, estime que les organisateurs du Ciné-Campus ont un certain pouvoir d’éducation : « Leurs choix vont influencer ce que les gens vont voir. Selon moi, ils ont un devoir d’utiliser cette plateforme à bon escient. »

Itinérance, crise d’Oka, violences sexuelles…

La première salve de films proposés par le Ciné-Campus témoigne de cette volonté particulière. Le jeudi 23 septembre dernier, le cinéma a proposé au public le film Nomadland, lauréat du meilleur film aux Oscars 2021, de la réalisatrice sino-américaine Chloé Zhao. Le film explore le sujet sensible de l’itinérance aux États-Unis. Le mercredi 29 septembre a eu lieu la diffusion du film Beans de la réalisatrice mohawk Tracey Deer, sorti en 2020, lequel retrace la crise d’Oka à travers les yeux d’une jeune fille autochtone. Enfin, le documentaire des journalistes canadiennes Monic Néron et Émilie Perreault La parfaite victime est à l’honneur le mercredi 6 octobre. Celui-ci traite des échecs du système de justice en matière d’agression sexuelle.

Affiche du film « Beans » de Tracey Deer

Des initiatives associatives

Le programme de la session d’automne du Ciné-Campus n’est pas né de la seule volonté des SAÉ. Pour plus de cohérence universitaire, le cinéma dit chercher toujours à être un soutien pour les initiatives associatives. La diffusion de Beans est venue compléter le programme des activités proposées dans le cadre de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation du 30 septembre 2021. Présentée à l’occasion de la Douzaine du développement durable de la FAÉCUM, en mars 2021, la série documentaire Canadian Talk abordait quant à elle l’impact écologique des filiales minières canadiennes qui s’établissent à l’étranger.

Derrière la petite équipe du Ciné-Campus se cache une machine créative bien plus large. La conception de la programmation implique en effet la participation de nombreuses personnes : des membres des comités universitaires ainsi que de la communauté étudiante. « Nous faisons notre choix aussi en fonction des demandes des étudiants, des comités… détaille Mme Jussaume-Lavigne. Nous participons à des événements tout au long de la session, par exemple la Journée des étudiants en situation de handicap. »

Sensibiliser le public en période de crise sanitaire

Le Ciné-Campus est toutefois confronté à un enjeu de taille, celui de devoir s’adapter aux restrictions sanitaires imposées en raison de la pandémie. Il a donc dû revoir en profondeur sa politique de diffusion ainsi que l’ensemble de son fonctionnement. Après un premier essai « concluant », selon l’équipe, à la session d’hiver 2021, la diffusion en ligne remplace désormais les traditionnelles projections en salle. Plusieurs causes expliquent cette prolongation, dont le maintien de certaines mesures sanitaires, qui ne facilitent pas le visionnage, et le plan de rénovation de la salle de spectacle des SAÉ, le Centre d’essai, situé au 2332 du boulevard Édouard-Montpetit.

Ce changement dans le fonctionnement du Ciné-Campus bouleverse inévitablement l’expérience du public. « Je n’ai pas encore assisté à des séances en virtuel, témoigne l’étudiante en études cinématographiques Pauline Sarrazy. Je le ferai si le film m’intéresse vraiment alors qu’avant, j’y allais de façon plus spontanée en n’ayant aucune peur d’être déçue, car la salle de cinéma demeure une expérience en soi. » Elle juge l’expérience actuelle incomplète et ne peut se passer complètement des effets sonores, visuels ainsi que de l’ambiance de l’habituelle salle de cinéma. Si le Centre d’essai manque donc aux personnes habituées aux projections, la diffusion en ligne présente tout de même de nombreux avantages, comme celui d’avoir accès aux films proposés pour une durée de 30 heures, et ce, gratuitement. Pour Jean-Philippe Chassé, la formule en ligne est satisfaisante. « Je suis content que le Ciné- Campus n’ait pas disparu de la carte avec la pandémie, même si c’est dans un autre format », ajoute-t-il.

Un autre enjeu de taille s’ajoute à celui des projections en temps de pandémie. L’équipe du Ciné-Campus ne se contente pas d’organiser la diffusion des films, elle propose aussi les « ciné-causeries », comme ses membres les appellent, lesquelles mêlent communauté étudiante et spécialistes du cinéma tels que des réalisateurs et réalisatrices. Ces discussions sont le vecteur par lequel le cinéma lie divertissement et enjeux universitaires. Dans ce cas, la politique d’adaptation est la même : elles ne se dérouleront plus au Centre d’essai du Pavillon J.-A.- DeSève, mais sur la plateforme Zoom.

Mme Jussaume-Lavigne mentionne l’aspect ludique des ciné-causeries. « Nous voulons que les étudiants aient la possibilité de faire des activités à l’extérieur de leur cours, mais aussi qu’ils aient une vie universitaire qui leur permette d’apprendre, même en se divertissant », explique-t-elle.

Les femmes à l’honneur

Si le Ciné-Campus se veut un cinéma de diversité, un constat se dresse à la lecture de sa nouvelle programmation comme à celle des dernières : les femmes sont à l’honneur, en tant qu’héroïnes, mais aussi comme réalisatrices. Le panel est large et inclut une variété de visages féminins tous inspirants. Cette particularité n’est pas seulement une question d’actualité, elle est aussi un juste rééquilibrage des représentations, selon Mme Jussaume-Lavigne. « Nous souhaitons que les femmes aient une tribune, souligne-t-elle. Nous avons souvent exposé qu’un pourcentage beaucoup plus faible de femmes réalisatrices était présenté, elles sont moins nombreuses à avoir gagné des Oscars, des prix importants. »

Pour Pauline Sarrazy, revaloriser la place des femmes dans l’industrie du cinéma actuel demeure un enjeu essentiel. « Il faut offrir aux femmes des rôles de personnages aussi variés et importants que ceux offerts aux hommes », soutient l’étudiante. La session d’automne a déjà emmené le public à la rencontre de plusieurs de ces femmes, dont la jeune Autochtone du film Beans. Les sessions précédentes portaient également une attention particulière à la représentation des femmes, comme en atteste la diffusion des films Jeune Juliette d’Anne Émond, une comédie sortie en 2019 dont l’héroïne est une adolescente victime de discrimination en raison de son surpoids, ou encore Nadia, Butterfly de Pascal Plante, sorti en 2020, portrait d’une jeune femme perdue entre le sport et sa vie sociale.

En attendant la fin des rénovations du Centre d’essai, qui visent à améliorer sensiblement l’expérience de la communauté étudiante quand les consignes sanitaires seront allégées, cette dernière est invitée à visionner les films d’actualité du Ciné-Campus depuis son canapé, pour un certain temps encore.

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