Quand une entreprise, même japonaise, demande à ses salariés d’adopter la même coiffure plus courte sous couvert d’économie d’énergie, on peut se demander si ce n’est pas un peu tiré par les cheveux. Existe-t-il une relation significative entre la longueur de la tignasse et la consommation d’eau et d’électricité ? Pas vraiment. Quartier Libre a mené l’enquête.
Après le code vestimentaire, le code capillaire. Chez Maeda, une grosse firme de construction japonaise, on ne veut voir qu’une tête. Ou plutôt deux : c’est court derrière et sur le côté mais légèrement plus long sur le devant pour les hommes, et au carré avec une frange rabattable pour les femmes. La raison? Depuis le séisme du 11mars dernier, le Japon connaît une pénurie énergétique sévère causée par la destruction de plusieurs raffineries et de la centrale nucléaire de Fukushima. En demandant à ses 2 700 employés de se plier à la réduction de leur chevelure, l’entreprise compte répondre à l’injonction gouvernementale d’économiser l’énergie le plus strictement possible.
« Nous ne sommes pas encore sûrs des chiffres, mais nous croyons que les personnes aux cheveux courts ont besoin de se sécher les cheveux moins longtemps, et utilisent moins d’eau », a déclaré la porte-parole du groupe, Chizuru Inoue, le 26 août au journal anglais Telegraph.
Quartier Libre n’a pas pu contacter Mme Inoue pour savoir combien des salariés ont endossé la consigne, et si elle dispose à présent de données en termes de diminution du temps qu’ils passent sous la douche ou sèche-cheveux en main. Pour l’instant, il n’y a donc aucun élément connu pour justifier ce règlement plutôt draconien. Car c’est bien beau d’évoquer l’effort national face à une situation de crise, mais comment être vraiment sûr que cette mesure disciplinaire n’est pas simplement un mauvais canular des ressources humaines, un délire de dirigeants en mal de tyrannie ou une recherche effrénée de productivité par la normalisation des individus ? Seule l’expérimentation pourrait asseoir le bien-fondé de l’opération «écocoiffure» de Maeda.
Quartier Libre est donc virtuellement rentré dans les salles de bain en demandant à une cinquantaine de volontaires d’indiquer la longueur moyenne de leurs cheveux, le temps passé sous l’eau à se les laver, à se les sécher et la fréquence à laquelle ils pratiquent ces opérations.
Cheveux coupés en quatre
On observe chez les hommes une tendance générale à l’augmentation du temps de lavage avec l’allongement, même si dans les chevelures les plus courtes, on peut observer des temps de lavage allant du simple au double pour une même longueur (mais tout en restant en dessous d’une minute).
Selon la figure 1, ils constituent un groupe plutôt homogène en termes de longueur de cheveux – autour de quatre centimètres en moyenne ? et de temps passé sous la douche à les laver – environ une minute.
Chez les femmes, en revanche, il appert que le temps de lavage n’est pas relié à la longueur du cheveu, mais aux produits utilisés ou à la complexité des soins. La figure 2 ne montre en effet aucune tendance claire. Avec la croissance du cheveu vient le chaos : les temps de lavage vont du simple au quadruple – pour une moyenne de trois minutes et demie –, les plus grandes durées étant même plus souvent observées sur les cheveux plus courts que la moyenne (qui se situe autour de 30 cm).
La fréquence des shampooings ne semble liée qu’à la météo ou au mode de vie, notamment la pratique régulière d’une activité physique. Il n’existe aucune corrélation entre la longueur des cheveux et le nombre de lavages par semaine – un peu plus de trois pour les hommes, un peu moins de trois pour les femmes.
Pour ce qui est du séchage, les répondants de l’étude sont écologiquement exemplaires puisque moins de 10 % d’entre eux utilisent un sèche-cheveux. Aucune statistique d’utilisation sur cet aspect n’est donc possible.
Économie minime La seule conclusion que l’on peut tirer de cette étude, c’est qu’il faudrait ramener la longueur des cheveux des femmes à celle des hommes pour espérer voir le temps de lavage moyen, tous sexes confondus, passer de deux minutes et quart à une minute. Cette minute quinze gagnée correspond à une économie de huit litres d’eau chauffée à 30 degrés environ tous les deux jours et demi, ce qui représente respectivement 0,8 % et 0,4 % des consommations en eau et en électricité d’un Japonais.
Quant à une minute de sèche-cheveux sauvée, c’est 0,06 % en moins sur la facture énergétique.
Ce n’est donc manifestement pas la boule à zéro qui sortira le Japon de la crise énergétique. Mais voyons le bon côté des choses : mieux vaut une coupe dans les cheveux qu’une coupe dans les salaires.