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Selon l'étude menée par Vincent Larivière, les femmes produisent autant que les hommes pour des publications de même notoriété, advenant qu'elles obtiennent un financement égal.

Chercheuses et maternité : un sexisme systémique

Un élément en défaveur des femmes concerne le congé parental pendant les études, qui n’est pas réglementé dans les universités. Certaines offrent quatre à six mois de congé et d’autres, rien du tout. La chercheuse postdoctorale et diplômée d’un doctorat en ethnomusicologie de l’UdeM Jessica Roda a accouché quelques mois après la soutenance de sa thèse pour poursuivre, huit semaines plus tard, ses études et travailler à titre de chargée de cours. Pour elle, l’arrimage de son rôle de mère à son parcours universitaire est attribué entre autres au fait que sa grossesse était planifiée. « En prévoyant accoucher au début de l’été, je me suis assurée que mon congé de maternité ne nuise pas à la poursuite de ma carrière. » En effet, le congé de maternité n’est pas reconnu dans le milieu de la recherche et est considéré comme un simple arrêt d’études. Lorsque les délais sont dépassés, il devient pour ainsi dire impossible de présenter une candidature qui soit aussi intéressante que celle des autres étudiants pour l’obtention de financements ou de postes permanents, le milieu de la recherche universitaire étant terriblement compétitif.

Cette course contre la montre, doublée du statut de parent, engendre généralement un rythme de vie difficile à soutenir. C’est le cas de la diplômée d’une maîtrise de HEC Montréal en management des entreprises culturelles Leïla Afriat. Afin de respecter les délais de dépôt et ayant eu un fils durant ses études, elle a rédigé son mémoire à coups de quelques heures chaque nuit, travaillant le jour et s’occupant de son enfant le soir. « J’ai eu des bonnes notes, j’ai fait mon dépôt dans les temps, mais j’en ai payé le gros prix, sur ma santé, mon moral, mais sur mon couple aussi », indique-t-elle.

Visibilité et prestige

La revue Nature faisait paraître en 2013 une étude réalisée par le professeur en bibliothéconomie de l’UdeM Vincent Larivière concernant les inégalités entre les sexes dans le milieu de la recherche. Cette étude basée sur l’analyse de plus de cinq millions d’articles scientifiques démontre que seulement 27,3 % d’entre eux, toutes disciplines confondues, étaient signés par des femmes. Les auteures, seraient aussi moins citées que les hommes. Pour ce qui est du financement des recherches, les femmes auraient 15 000 $ de moins en subventions publiques et, dans les entreprises privées, elles recevraient la moitié des sommes obtenues par les hommes. En février dernier, M. Larivière rappelait au journal Le Devoir l’incidence de la maternité dans ces inégalités.

Selon Jessica, les responsabilités familiales influencent la mobilité des chercheuses et leur participation à des conférences, ce qui affecte la visibilité de leurs travaux. « Que ce soit durant la grossesse ou durant l’allaitement, ton corps est complètement mobilisé et les activités ou déplacements sont difficiles », souligne Jessica. Il en est de même lorsque les recherches impliquent des travaux de terrain de longue haleine, courants dans les cycles supérieurs. Cet aspect a été crucial quant à la poursuite des études de l’ancienne étudiante au doctorat en anthropologie Aude Leroux-Chartré. Pourtant récipiendaire d’une bourse de 35?000 $ par année de la part du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), c’est la réalité du terrain qui l’a, entre autres, découragée de continuer ses études doctorales. « Amener mes deux enfants sur mon terrain au Brésil était pour ainsi dire impossible et l’idée d’être éloignée d’eux aussi longtemps était impensable », précise-t-elle, sachant que la durée moyenne d’une étude de terrain au doctorat est d’un an.

Quelques pistes de solutions

Pour les trois chercheuses, aucun protocole n’était disponible dans les universités afin de connaître les ressources à portée de main pour faciliter la poursuite de leurs études. S’il existe quelques bourses de maternité à l’UdeM, elles sont proposées tous les deux ans et offrent une somme de 4?000 $, ce qui ne permet pas de répondre aux réels besoins des parents étudiants. Selon Jessica, un premier pas serait d’offrir des frais de garderie dans les remboursements de frais de colloque, afin de soulager le fardeau financier que vivent les parents en déplacement. « Aussi, le congé de maternité devrait être officiellement reconnu et on devrait cesser de le confondre avec un simple arrêt d’études », ajoute-t-elle. Cette suggestion est d’ailleurs partagée par Aude, qui propose en plus d’installer des aires d’allaitement dans les départements. Si l’UdeM offre déjà un système de garderie, Leïla le juge mal adapté à la demande. Elle souhaiterait plutôt une halte-garderie de quelques heures, afin de permettre aux étudiantes de participer à leurs séminaires. [NDLR: Un service de cet ordre est cependant offert par la FAÉCUM.]

Ces suggestions sont simples, efficaces, mais encore loin de la réalité actuelle. Parce que l’âge d’avoir des enfants correspond généralement à l’âge d’entrée aux études supérieures, il existe une nette inégalité entre les hommes et les femmes dans le milieu universitaire. Malgré les avancements des dernières années en ce qui a trait à l’équité de traitement entre les sexes, un fait se dégage : tant que les universités ne feront pas en sorte d’alléger le fardeau des étudiantes voulant devenir mères, un sexisme systémique quant à l’égalité des chances entre hommes et femmes continuera de se perpétrer et empêchera de briser, une bonne fois pour toutes, le plafond de verre.

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