Volume 29

« Il ne s’agit pas de protestations contre l’islam ou le choix de porter le voile, mais contre l’oppression que vivent les femmes », précise Farmehr Amirdust. Photo

Ces étudiant·e·s qui scandent «Femme, Vie, Liberté»

«Je pense que si j’étais en Iran en ce moment, j’aurais peur d’aller dans les rues, parce que les forces du régime islamique sont vraiment brutales et ne tolèrent aucune forme de protestation», témoigne l’étudiant à l’UdeM Ali [prénom fictif]*. Comme des milliers de personnes ces dernières semaines, il a défilé dans les rues de Montréal pour afficher son soutien aux protestations qui ont lieu dans son pays d’origine depuis la mort de la jeune Mahsa Amini, le 16 septembre dernier.

Native de Téhéran, l’étudiante à l’Université Concordia Mahsa* explique qu’elle jouit ici d’une bien plus grande liberté d’expression. «En Iran, nous n’avions pas la liberté de parler, il n’y avait pas non plus de parti politique dans lequel nous aurions pu nous engager», précise-t-elle. La liberté d’expression de plusieurs Iranien·ne·s demeure cependant précaire du fait des répercussions que leur engagement contre le régime pourrait avoir sur leur famille restée au pays ou sur leur propre sécurité en cas de retour en Iran. «Quand je suis ici, j’ai peur quand même, car le régime islamique a des espions partout dans le monde, même dans les milieux universitaires», confie Ali.

Les visas qui expirent à la fin de leur programme d’études constituent un autre élément qui empêchent ces étudiant·e·s de manifester sereinement. «En tant qu’étudiante, j’ai un statut temporaire, alors il y a toujours cette peur : que va-t-il se passer si je dois rentrer en Iran?» s’inquiète la personne au doctorat en religions et cultures à l’Université Concordia Farmehr Amirdust.

La journaliste et étudiante au D.E.S.S. en analyses environnementales et industrielles à l’UdeM Maryam Azimzadeh, qui a quitté l’Iran en 2017, confirme les propos de sa camarade. « Je suis plus libre, parce que j’ai une résidence permanente », précise-t-elle. Ces risques n’empêchent toutefois pas les étudiant·e·s iranien·ne·s de se mobiliser fortement.

Les droits de la personne en Iran : une situation critique

Le non-respect des droits de la personne en Iran, dont l’absence de liberté d’expression, est régulièrement dénoncé par divers organismes de défense de cesdroits. Selon l’ONG Human Rights Watch, «les autorités iraniennes continuent de réprimer les droits des citoyens. Les agences de sécurité et de renseignement, tout comme les autorités judiciaires, ont sévèrement réprimé toute forme de dissidence, y compris en recourant à une force excessive et meurtrière contre les manifestants*».

De plus, Amnistie internationale a précisé, dans son rapport pour les années 2021-2022, que «la législation discriminatoire imposant le port du voile avait pour effet un harcèlement quotidien, des détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que la privation de l’accès à l’éducation, à l’emploi et à certains espaces publics». À l’heure où était diffusé ce rapport, «au moins six défenseur·e·s des droits des femmes étaient toujours derrière les barreaux pour avoir fait campagne contre le port obligatoire du voile […]. Les autorités ont continué de réprimer durement les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Elles ont interdit des partis politiques indépendants, des syndicats et des organisations de la société civile, censuré des médias et brouillé des chaines de télévision par satellite**».

Page dédiée à l’Iran du site Internet hrw.org (consultée le 27 octobre 2022)

** Rapport 2021/22 sur la situation des droits humains dans le monde d’Amnistie Internationale

Manifestation du 22 octobre dernier à Montréal. Photo | Courtoisie | Mouvement « Femme, vie, liberté »

Fédérer la communauté

La politologue montréalaise experte du monde iranien Hanieh Ziaei explique que Montréal compte une communauté d’étudiant·e·s iranien·ne·s assez importante, répartie en majorité entre les universités McGill et Concordia. Dans de nombreux cas, ces étudiant·e·s ont quitté l’Iran sans leur famille, grâce à un permis d’études. «Passer par une admission universitaire est l’un des moyens les plus pratiques de quitter le territoire iranien», explique-t-elle.

Ainsi, la communauté étudiante iranienne a très rapidement réagi en nombre dans les universités montréalaises à  l’annonce de la mort de Mahsa Amini : une veillée aux chandelles a été organisée devant l’Université Concordia le jour même ; un peu plus tard, des manifestations ont eu lieu devant l’Université McGill, notamment en réaction à l’apologie de la violence envers les femmes, publiée sur Twitter par un chargé de cours de cette université**. Cependant, l’implication des étudiant·e·s dans le mouvement de protestation a rapidement dépassé le cadre scolaire.

L’étudiant en deuxième année au baccalauréat en science politique et études iraniennes Shayan Asgharian, également président de l’Association des étudiant·e·s iranien·ne·s de l’Université Concordia (ISACU), est l’un des cofondateurs de la branche montréalaise du mouvement «Femme, vie, liberté», lequel organise régulièrement des manifestations dans le centre-ville.

Il décrit cette branche comme «une association ombrelle qui a pour objectif de rassembler toutes les organisations iraniennes de Montréal sous un même mandat». Il n’est cependant pas question pour lui ou qui que ce soit d’autre de se proclamer chef. «Ce sont les Iraniens qui sont les leaders du mouvement, le comité ne fait qu’organiser», précise Maryam Azimzadeh, qui fait également partie du comité de l’ISACU.

Elle ajoute que si les femmes sont très impliquées dans le mouvement, car « elles sont le symbole de la communauté iranienne oppressée », celui-ci ne s’y limite pas et la mobilisation de la diaspora iranienne rassemble toutes les générations et toutes les classes sociales, bien au-delà des clivages idéologiques. «On ne parle pas de nos opinions politiques et personnelles, car on veut être solidaire et donner une voix au peuple iranien», précise la journaliste.

Mme Ziaei explique pour sa part que les Iranien·ne·s de la diaspora installé·e·s au Canada depuis trente ou quarante ans sont resté·e·s très proches de leur famille. «Il y a un sentiment d’indignation partagé, donc des dynamiques de solidarité», souligne-t-elle.

Voix du peuple iranien

Bien que s’informer soit très difficile pour les Iranien·ne·s resté·e·s au pays, dans la mesure où le gouvernement a ordonné la coupure d’Internet pour tenter de contenir les protestations, «c’est vraiment précieux pour eux de voir des manifestations partout dans le monde», mentionne Ali.

«Publier des messages à propos de ce qui se passe en Iran et partager des vidéos sur les réseaux sociaux est essentiel, même si c’est brutal ou triste, car c’est important de voir le vrai visage du gouvernement, insiste-t-il. Toute forme de solidarité et de soutien est vraiment importante, parce que l’essentiel, c’est d’être la voix de ceux qui sont en Iran.» Mme Ziaei confirme les propos d’Ali : «La diaspora se donne le rôle de briser le silence et d’être dans la dénonciation, de donner une visibilité aux voix qu’on tente d’écraser en Iran», précise-t-elle.

Ali pense que les politicien·ne·s partout dans le monde devraient se montrer plus actif·ve·s et en faire davantage pour soutenir les Iranien·ne·s. Tout comme lui, sa camarade de Concordia Mahsa encourage «tous ceux qui s’intéressent au sort des Iraniens à contacter leurs représentants politiques». Et à celles et ceux qui parlent de neutralité politique, Shayan Asgharian se montre catégorique. «Quand les gens sont en train de se faire tuer dans les rues, je crois qu’il n’y a pas vraiment de question de neutralité», déclare-t-il.

Mille origamis ont été déposés sur le campus Loyola de l’Université Concordia lors d’une veillée aux chandelles organisée le 18 octobre dernier. Photo | Courtoisie | Mahsa

Entre espoir et souffrance

L’espoir est palpable au sein de la communauté étudiante iranienne et plusieurs de ses membres entrevoient de réels changements en Iran, mais pas seulement. «On va faire des manifestations tant qu’on n’aura pas acquis les choses qu’on revendique, car c’est une question de droits humains»affirme Shayan Asgharian. De son côté, Ali croit que «si les femmes iraniennes se libèrent d’une force qui les a restreintes depuis plus de quarante ans, les femmes partout dans le monde pourraient s’en inspirer pour demander plus de liberté».

La situation a cependant un effet délétère sur la santé des étudiant·e·s qui ont accepté d’aborder ce sujet. L’un·e des intervenant·e·s qui s’est confié·e à Quartier Libre dit même avoir dû être hospitalisé·e en psychiatrie à la suite du choc provoqué par l’annonce de la mort de Mahsa Amini. Tous·tes mentionnent avoir peur pour leurs proches et éprouver des difficultés à entrer en contact avec leur famille et leurs ami·e·s depuis que le régime a ordonné lacoupure d’Internet et des réseaux téléphoniques. Shayan Asgharian décrit sasituation et celle de son entourage comme un « chaos total ».

 J’ai  des amis  qui ont  perdu leur  emploi, d’autres qui sont en train d’échouer examen après examen, et beaucoup d’entre eux commencent à avoir de sérieux problèmes financiers à cause de leur implication dans l’organisation des manifestations, car ils travaillent jour et nuit pour l’association « Femme, Vie, Liberté » », détaille-t-il.

Ali rapporte également les difficultés qu’il a à se concentrer sur ses études. « Depuis le début des manifestations en Iran, je me trouve sans cesse sur les réseaux sociaux et les médias indépendants à la recherche de nouvelles, et je regarde des vidéos et des images de plus en plus violentes de gens qui sont abattus dans les rues », confie-t-il.

Importance du soutien

Dans cette situation de détresse psychologique, l’étudiant à l’UdeM soulève également l’importance d’exprimer son ressenti. «Les images qu’on reçoit tous les jours sont extrêmement traumatisantes, donc il faut en parler à ses collègues, ses amis et ses professeurs», insiste-t-il. Il précise cependant que parler ne l’empêche pas de ressentir une certaine solitude, car bien qu’il ait discuté avec ses collègues et son directeur de recherche, «c’est vraiment dur d’en parler et surtout d’expliquer tout ce qui se passe actuellement en Iran aux gens qui n’en savent rien». Sa solution? Participer aux manifestations organisées à Montréal chaque semaine et rencontrer des personnes qui vivent la même chose que soi. «Il ne faut pas se sentir seul à subir des injustices», précise-t-il.

À Concordia, l’ISACU organise des groupes de parole pour permettre aux étudiant·e·s qui sont loin de leur pays de discuter des événements et de partager leurs émotions. L’association a d’ailleurs demandé davantage de soutien de la part de cette université. Du côté de l’UdeM, la porte-parole de l’Université, Geneviève O’Meara, rappelle que de nombreux services sont offerts aux étudiant·e·s internationaux·ales qui traversent des moments difficiles, notamment au sein du Centre de santé et de consultation psychologique et du Bureau des étudiants internationaux.

Ali affirme toutefois ne pas se sentir soutenu par l’UdeM. «Le recteur de l’Université a tweeté un message de soutien, mais ce n’est pas du tout suffisant, estime-t-il. Je sais que dans d’autres universités, les Iraniens ont reçu personnellement des messages de soutien et de solidarité.»

En effet, l’École de technologie supérieure de Montréal (ÉTS) a, par exemple, organisé un événement de soutien aux étudiant·e·s iranien·ne·s le 14 octobre dernier, au cours duquel «les membres de la communauté iranienne ont pu s’exprimer sur ce qu’ils vivent et ressentent», selon une communication de l’École. Du côté de Concordia, des membres de la communauté étudiante, du corps professoral et du personnel du Département où étudie Mahsa ont pris part à une activité de confection d’origamis destinés à être utilisés lors d’une veillée aux chandelles. «C’est une sorte de travail de groupe que tout le Département a réalisé en l’honneur de Mahsa Amini et de toutes les femmes iraniennes », explique Mahsa, qui a été d’autant plus touchée par l’initiative qu’elle porte le même prénom que la défunte.

* Par crainte de représailles contre leurs familles, Ali et Mahsa ont préféré ne pas dévoiler leur nom de famille et leur programme d’études.

** Pour en savoir plus, consulter l’article « Manifestations en Iran : des propos « offensants » créent l’émoi à l’Université McGill » de Radio-Canada du 7 octobre 2022, <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1923273/montreal- universite-mcgill-message-twitter-violence-femme-iran >, [consulté le 28 octobre 2022].

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