Après un an et demi à suivre des cours derrière son ordinateur, à ne pas pouvoir sortir, à moins voir son cercle amical, la communauté étudiante redécouvre, depuis un mois, une certaine « normalité » grâce au retour de la vie sur le campus. Certaines personnes n’avaient d’ailleurs jamais fréquenté l’Université en présentiel, d’autres reviennent en classe après une longue ellipse. Le campus de l’Université de Montréal, peuplé de plus de 67 000 étudiants et étudiantes, formait et forme à nouveau un immense lieu de rencontres. Comment les célibataires vivent-ils cette rentrée sur le campus ?
Une session porteuse d’espoir
L’étudiant en troisième année au baccalauréat en arts visuels Étienne Desjardins se souvient de la drague avant les cours en ligne. « Je travaillais dans un restaurant, alors cela aidait pour rencontrer des filles, témoigne-t-il. Je rencontrais un peu de gens avant la pandémie. C’était surtout dans les bars, mais pas vraiment à l’Université. » S’il n’a pas repris son emploi en restauration, il se dit tout de même optimiste à l’idée de développer une idylle grâce au retour sur le campus. « On se retrouve avec des personnes qui partagent la même réalité ; à distance, c’était plus difficile », déclare-t-il.
Un retour en présentiel comme avant… ou presque, car les masques sont aussi de la partie. La communauté étudiante n’a ainsi qu’une option : se faire les yeux doux. L’étudiante en première année au baccalauréat en sciences économiques Tia Roukoz estime que le port du masque peut être un atout pour aborder les gens. « Tu te sens cachée, tu te sens peut-être moins timide, explique-t-elle. Au pire, on ne me reconnaît pas si j’enlève le masque. » L’étudiante se réjouit de pouvoir faire de nouvelles rencontres sur le campus, les applications de rencontres n’étant pas sa tasse de thé. « Je préfère les rencontres spontanées », confie-t-elle.
L’étudiante au DESS en gestion-entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal Sabine Flahaut ne relève aucun inconvénient non plus dans le fait de se rencontrer « masqué ». « Cela fait quand même deux ans que nous portons le masque, ce n’est plus vraiment un problème, nous nous sommes habitués, mentionne-t-elle. On parle plus fort et on sourit avec le regard ! »
Moins de spontanéité…
« Selon les tendances […], les rencontres se font principalement dans les milieux scolaires et académiques, professionnels, dans les cercles d’amis et aussi grâce à des sites et applications de rencontres », explique le doctorant en sociologie à l’UQAM Noé Klein. Toutefois, d’après lui, le problème avec la pandémie de la COVID-19 est que les mises en garde et avertissements concernant les rapprochements physiques, au sens le plus strict, ont balayé une forme de spontanéité dans les nouvelles rencontres.
Cette spontanéité quelque peu perdue fait suite à un isolement difficile pour une partie des membres de la communauté étudiante. Chacun a réagi différemment face à la situation des derniers mois. Sabine Flahaut a pour sa part adopté les applications de rencontres pendant la pandémie. « Pour sortir, aller prendre un verre, ça a été utile, admet-elle. Après, il n’y a pas trop de suivi, et avec les gars que j’ai rencontrés, ça ne matchait pas. » Étienne Desjardins a lui aussi téléchargé des applications de rencontres, ce qu’il n’avait pourtant jamais fait avant. Il les a d’ailleurs désinstallées une fois les sorties de nouveau autorisées.
… mais un nouvel élan ?
Si certains ont mal vécu le fait de faire moins de rencontres ces derniers mois, leur état d’esprit actuel peut aujourd’hui leur ouvrir de nouvelles portes, à en croire Noé Klein. « Il est possible que les personnes ayant trop souffert de l’isolement souhaitent recommencer à rencontrer de nouvelles personnes plus rapidement, et dépassent une éventuelle réticence qui aurait pu exister avant », souligne-t-il.
Pour Sabine Flahaut, le retour sur le campus représente en tout cas l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes, chose difficile avec les cours à distance. Bien que le campus ne soit pas un lieu de flirt selon elle, l’étudiante reconnaît que les rencontres faites à l’université pourraient aider à alimenter sa vie amoureuse. « Je ne flirte pas sur le campus, affirme-t-elle. C’est plutôt un lieu qui aide à lier des amitiés. Après, tu rencontres les amis d’amis parmi lesquels tu peux potentiellement trouver quelqu’un. »
Le phénomène « solo »
En attendant que les amis d’amis deviennent des amis… ou plus si affinités, force est de constater que plusieurs étudiantes et étudiants interrogés par Quartier Libre, qui n’ont pas souhaité divulguer leur nom, préfèrent rester célibataires. Sans se dire fermées à une potentielle rencontre, ces personnes déclarent se sentir heureuses seules et ne pas nécessairement ressentir l’envie d’être en couple. Dans son
livre Going Solo : The Extraordinary Rise and Surprising Appeal of Living Alone, publié en 2012 aux éditions The Penguin Press, le sociologue américain Eric Klinenberg se penche sur le phénomène « solo », un mode de vie selon lequel une personne choisit de rester seule plutôt que d’entrer dans une relation qui ne lui conviendrait pas. Il soutient que les stéréotypes qui entourent les personnes seules rendent le célibat plus difficile à vivre pour certaines d’entre elles.
Noé Klein constate aussi que le célibat est victime de clichés. « [Il] a tendance à être perçu comme quelque chose d’indésirable, ou d’incomplet, explique-t-il. La culture du couple a tendance à relayer les relations amicales au second plan des relations significatives, alors que chez les célibataires, les amis peuvent très bien occuper le premier plan des relations intimes. »