Café Eldorado, avenue Mont-Royal : je rencontre Francis Desharnais, dépourvu de burqa. L’auteur de Burquette n’est pas musulman, et son héroïne non plus. Francis Desharnais présente le deuxième tome d’une bande-dessinée (BD) qui tourne la polémique au comique.
Quartier Libre : Vous venez de lancer le tome 2 de Burquette. Pour ceux et celles qui n’ont pas encore eu la chance de faire la connaissance du personnage coloré d’Alberte, comment décririez-vous l’histoire?
Francis Desharnais : C’est une relation entre père et fille. Au grand désespoir de son paternel, Alberte est une adolescente plutôt superficielle. En voulant lui apprendre les rudiments de la vie, son père lui impose le port de la burqa. Avec son idée de génie, il espère éveiller sa fille au monde réel. On peut dire qu’il fait le tout d’une façon très maladroite et extrémiste.
Q.L. : Comment germe une telle idée dans la tête d’un créateur ?
F.D.: En fait, j’ai travaillé en France lors du débat médiatique sur le port des signes religieux à l’école. Un peu plus tard, quand je suis revenu au Québec, il y avait la création de la commission Bouchard-Taylor. À la même époque, mon ami m’a confié ses craintes de voir sa fille devenir une petite princesse, quitte à l’envoyer dans un pays pauvre (rires). C’est un peu un mélange de tout ça poussé à l’extrême.
Q. L : Pourquoi avoir choisi la burqa comme signe religieux plutôt que le turban ou encore le nicab ?
F.D.: La burqa est plus extrême; on ne voit absolument rien de la personne. Les gens ont plus de difficulté à concevoir que c’est juste une question de religion. En même temps, j’ai fait très attention de ne pas porter de jugement de valeur sur les croyances qui lui sont rattachées.
Q.L. : Le tome 1 s’est vendu à 5000 exemplaires. Le tome 2 a été tiré à 250000 exemplaires. Que pensez-vous de l’accueil que reçoit Burquette du public ?
F.D. : Franchement, je n’ai eu que des commentaires positifs. Je me rends compte qu’il y a plus de lecteurs de BD qu’auparavant. Il faut avouer qu’il y a plus de variété aujourd’hui. Les bédéistes rendent maintenant leurs oeuvres plus attrayantes pour le public féminin, entre autres évolutions.
Q.L. : Certains prétendent qu’avec ses illustrations, la BD prend le lecteur par la main. Que pensez-vous des critiques qui disent que la bande dessinée est abrutissante ?
F.D. : Je ne crois pas. La bande dessinée possède une esthétique particulière. Avec les dessins et les bulles, on crée un code au lecteur. Il doit par lui-même déchiffrer les signes qu’on lui fournit. Je dirais même que les illustrations donnent un esprit de non-dit dans le texte. On parle ici d’un niveau de lecture supérieur.
Q.L. : À ce propos, le tome 1 émet une critique importante des médias. La BD constitue-t-elle un exutoire pour vous ?
F.D. : En effet, je parle de la société actuelle. Je critique par la bande, sans attaquer directement. À la limite, on pourrait parler d’une analyse. Je m’amuse avec ça ; c’est une façon d’en rire. J’aime bien souligner les travers, pointer du doigt les choses louches.
Q.L. : À quoi peut-on s’attendre du tome 2 ?
F.D. : Mon but était de confronter Alberte à l’univers qui l’attire le plus, celui de la célébrité. D’autre part, je la mets face au monde de pauvreté que son père tente de lui faire connaître. Mis à part un traumatisme causé par le port de la burqa, il ne faut pas s’attendre à une évolution psychologique du personnage.
Q.L. : Au niveau du style, a-t-on encore droit à l’humour à la fois subtil et extrémiste du premier tome ?
F.D. : J’ai essayé de demeurer en continuité avec le premier. Par contre, il y a plus de moment lourd. Au niveau des effets, j’ai travaillé mes chutes. Je voulais faire rire le lecteur, mais aussi lui faire vivre des émotions.
Q.L. : Peut-on s’attendre à voir un jour troisième tome en magasin ?
F.D. : On verra. Au début, je n’étais même pas certain de faire un tome 2. J’avais quelques idées, mais j’attendais de voir la réaction du public. Comme la réception a été positive, j’ai décidé de continuer le projet. C’est un peu la même chose pour le tome 3. Si je poursuis, je crains surtout ne pas être en mesure de garder le rythme actuel de la série. Sans compter qu’à un moment donné, on aura fait le tour du sujet de la burqa.