Volume 25

L’ADS+ peut s’appliquer dans de nombreux domaines comme l’éducation, la santé, le transport, le développement régional, l’emploi ou la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Crédit : Romeo Mocafico

Budget provincial : des groupes réclament une relance économique paritaire

Alors que Québec présentera son budget 2021-2022 d’ici quelques semaines, des groupes provinciaux féministes demandent au gouvernement d’assurer une relance post-COVID prenant en compte les femmes. Ces organismes revendiquent l’application de l’Analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+), un outil d’analyse des décisions qui devrait être « une priorité gouvernementale ».

« L’ADS+ doit être une condition préalable à l’élaboration des lois, règlements, politiques, plans d’action et budgets du gouvernement, affirme la co-porte-parole du G13, également directrice des opérations et des projets du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, Karine-Myrgianie Jean-François, qui assure que la pandémie a exacerbé les inégalités. Les politiques fiscales doivent être évaluées en fonction de leurs impacts sur toutes les femmes, surtout celles qui sont les plus en marge. De plus, des mesures doivent être prises et mises en place afin de réaliser les droits de toutes. »

D’après Mme Jean-François, cet outil d’analyse, déjà testé par la Ville de Montréal, guiderait la prise de décision et viserait la mise en place de programmes plus sécuritaires et inclusifs. Les politiques appliquées affectent la population différemment, chaque personne ayant des besoins spécifiques en raison de son sexe, sa classe sociale, sa situation de handicap, son âge, son origine ethnique, son orientation sexuelle ou son identité de genre. « La priorité est d’analyser l’impact de chaque mesure ou initiative et de prioriser celles qui ont un apport positif sur les populations les plus touchées par la pandémie, même si elles ne sont pas en haut de la pile », explique-t-elle.

Le retour à l’emploi

Le rapport Baromètre des inégalités, publié en septembre 2020 par l’Observatoire québécois des inégalités, informe que le taux d’emploi des femmes (55 %) se remet plus lentement que celui des hommes (63 %) depuis le début de la crise et que certains secteurs comme l’hébergement, la restauration et le commerce de détail, où l’emploi féminin est surreprésenté, sont durement touchés. D’un autre côté, le G13 rappelle que les femmes sont en première ligne dans plusieurs services essentiels en contact avec le public, ce qui augmente leur exposition au virus. « Les femmes représentaient en 2015 88 % du personnel infirmier, 86 % des caissières et 75 % du personnel enseignant au secondaire, primaire et préscolaire et 98 % du personnel éducatif et des services de garde de la petite enfance », révèle le rapport du G13.

Pour l’économiste Louise Champoux-Paillé, l’ADS+ donne au gouvernement la possibilité de mesurer en amont les conséquences d’une politique sur la population, en se basant sur un éventail de personnes qui va au-delà du Québécois moyen. « Quand on parle de reprise économique, le premier milieu à repartir est généralement celui de la construction, qui est principalement masculin, souligne l’économiste. Avec l’ADS+, on pourrait élargir cette reprise en investissant dans d’autres secteurs où on trouve majoritairement des femmes, comme l’hôtellerie ou la restauration. » 

Mme Champoux-Paillé souhaite que la reprise économique à venir aide les femmes à emprunter la voie de la nouvelle économie. « Le rehaussement des compétences devrait être adressé dans la politique gouvernementale, pour que d’ici 5 à 10 ans, on assiste à un retour important des femmes dans des secteurs où elles seront mieux rémunérées », soutient-elle.

Le travail invisible et la charge mentale

Pour les membres du G13, la pandémie a mis en péril la santé et la sécurité des femmes. Une étude de l’Université de Sherbrooke a révélé un niveau de détresse psychologique plus élevé chez les femmes que chez les hommes (26,1 % contre 23,6 %). En plus des défis auxquels elles font face dans leur vie professionnelle, elles s’occupent du travail invisible ou des tâches domestiques. « S’occuper des enfants, des cours en ligne, des achats, et n’avoir comme créneau pour travailler que le matin très tôt ou le soir très tard, c’est le cas de beaucoup de femmes », précise Mme Jean-François.

Des femmes se sont retirées du marché de l’emploi ou sont passées à des postes à temps partiel à cause de la fermeture des écoles ou des garderies. « Il se peut que la reprise économique ait davantage profité aux hommes, ou que les femmes aient quitté leur travail ou se soient retirées du marché de l’emploi pour s’occuper de leurs enfants, une hypothèse plausible étant donné que les responsabilités parentales et les tâches domestiques sont déjà disproportionnellement à la charge des femmes », mentionne l’Observatoire québécois des inégalités.

Relancer l’économie dans une perspective paritaire

En septembre dernier, La Presse publiait une lettre ouverte dans laquelle Mme Champoux-Paillé interpellait le gouvernement sur l’importance d’avoir une approche différenciée pour la relance économique. Cette demande est restée sans réponse. « Si on ne prend pas en compte l’ADS+, on va maintenir le statu quo et on va régresser, prévient l’économiste. C’est important d’avoir une vision innovante de nos politiques, qui reconnait cette différence entre les sexes. »

Les hommes peuvent aussi bénéficier de l’application de cet outil d’analyse. En 2006, l’intégration de l’Analyse dfférenciée selon les sexes (ADS) [voir encadré]dans la politique des congés suivant l’arrivée d’un enfant a introduit le congé de paternité à l’usage exclusif du père. Dix ans plus tard, des données du Régime québécois d’assurance parentale indiquent que 70 % des pères ont demandé un congé d’au moins une semaine en 2017, contre 56 % en 2006. Le Québec est la province où le taux de congé de paternité est le plus élevé au pays. « Ce n’est donc pas juste une question féminine, l’enjeu est plutôt d’avoir des politiques qui permettent d’identifier correctement le problème qu’on veut résoudre », spécifie Mme Champoux-Paillé.

L’ADS+ peut s’appliquer dans de nombreux domaines comme l’éducation, la santé, le transport, le développement régional, l’emploi ou la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. « Si on crée un système de transport, il faut savoir quel sera l’impact sur les gens, illustre Mme Jean-François. Qui va l’utiliser ? Qui sera privilégié ? Il y a toujours des personnes que ça aide et d’autres à qui ça nuit, c’est pour ça qu’il faut faire une analyse des impacts. »

L’ADS déjà présent au sein du gouvernement

En 2006, le gouvernement québécois a formellement inscrit l’ADS comme un outil de gouvernance dans la politique gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes. « Pour moi, c’est clair que ça n’a pas été mis en pratique, et pas seulement pendant la pandémie, déclare Mme Jean-François. Ça fait plusieurs années qu’on lève le drapeau, Québec nous dit qu’il aimerait l’appliquer, mais qu’il trouve ça compliqué. »

Pourtant, en 2018, la Ville de Montréal avait démarré un projet pilote d’intégration de l’ADS+, en collaboration avec l’organisme Relais-Femmes. Plusieurs initiatives avaient vu le jour, comme la conception de vestiaires universels au Complexe aquatique Rosemont ou la création d’unités de débordement pour les personnes en situation d’itinérance.

Si l’évaluation du projet est toujours en cours, la Ville est optimiste. « On peut déjà affirmer que les résultats sont très prometteurs : l’ADS+ est un levier pour lutter contre les discriminations, en amont de chaque projet, dans l’ensemble des champs de compétences municipales », a répondu la chargée de communication de la Ville de Montréal, Linda Boutin.

L’objectif de la Ville est que l’ADS+ soit prise en compte pour la relance économique de Montréal. « Il s’agit d’un outil essentiel afin que la reprise ne laisse personne derrière », assure Mme Boutin, qui précise que la Ville partage régulièrement son expérience avec le gouvernement provincial. « Nous espérons que l’implantation de la démarche de l’ADS+ à la Ville de Montréal soit exemplaire et inspirante pour tous ses partenaires. », conclut-elle.

 

ENCADRE : l’ADS et l’ADS+

  • L’ADS vise à inscrire une approche contribuant à l’égalité entre les femmes et les hommes dans les pratiques et la culture administrative du gouvernement du Québec. Elle permet de discerner de façon préventive les effets distincts que pourraient avoir, sur les femmes et les hommes, une politique, un programme ou toute autre mesure gouvernementale.

 

  • L’ADS+ considère l’ensemble des femmes et les différentes positions sociales qu’elles occupent. Une analyse différenciée selon les sexes classique, sans le « + », risque de favoriser les femmes en relative position de pouvoir et de marginaliser davantage les femmes à l’intersection des oppressions, comme les femmes lesbiennes ou « queer », celles vivent avec un handicap, les femmes racisées, précaires économiquement, autochtones, immigrantes, etc.

 

Partager cet article