L’émotion était palpable pour ce lancement avec famille, amis et anciens camarades de classe, tous aussi émus de voir la réussite de l’un des leurs. La librairie Le Port de tête resplendissait de jeunes visages et l’alcool coulait à flot. Il y avait quelque chose d’élégamment sulfureux dans l’endroit qui n’en est pas à son premier lancement, à l’image de ce livre qui creuse un sillon le long de la raison et joue habilement avec.
Tu aimeras tout ce que tu as tué est un roman meurtrier qui évolue dans une violente et sanglante indifférence au coeur d’un Chicoutimi détesté par le narrateur, nommé Faldistoire, duquel on suit la vie – ou la mort – du primaire jusqu’au secondaire. Le lecteur doute à chaque coin de page. Les enfants décédés, tués atrocement, reviennent comme si de rien n’était continuer leur vie, accompagner les vivants dans leur deuil et leur culpabilité. Un chapitre entier est consacré à la mort de Faldistoire, à quatre ans, étouffé par son grand-père incestueux. Le vrai se confond avec le faux, mais il y a la certitude de la haine. Cette rage qui donne un rythme haletant au texte. Les funérailles et les tragédies se succèdent de manière insensée : Sylvie meurt dans une souffleuse, Croustine est poussé dans une fosse par son père, Sébastien est assassiné avec le reste de sa famille par ce modèle de père cancéreux. Qui défendra les enfants de Chicoutimi si ce n’est Faldistoire ? « C’est moi qui te détruirai, Chicoutimi. En consultant le ciel, en parlant aux astres et aux puissances occultes, à tous ces morts que tu portes en toi, j’ai reçu ma mission. J’ai rêvé ta fin toutes les nuits. »
Il faudra à tout prix détruire ce lieu « de toutes les douleurs », par le feu assurément. L’échappatoire n’existe pas, ni pour les vivants ni pour les morts, et ce sont les morts qui feront tout sauter. Ce que l’auteur tente par cette destruction qui prend son ampleur dans la provocation et l’extravagance, est une critique du racisme, de l’homophobie, de l’hypocrisie et des préjugés qui sont bien réels, véridiques, factuels.
Plus les pages défilent, plus l’encre assassine devient contagieuse. Chaque chapitre a sa raison d’être et ne perd pas de temps dans les futilités. L’attention du lecteur est sollicitée dans cette frénésie et par la forme même du livre. On ne perd jamais de vue la temporalité primaire-secondaire, mais l’auteur voyage à son gré d’un chapitre à l’autre. Et il n’est pas rare qu’on soit au courant de certains évènements avant même qu’ils ne soient réellement racontés. Pour ce premier roman, Kevin Lambert signe une prose furieuse sans prendre de gants et pleine d’une imagination qui n’est pas si loin du réel.