Altana est un village d’une vingtaine d’habitants perché dans les collines non loin de Cividale del Fruli, dans le nord de l’Italie. Patrick a hérité de terres et d’une maison dans ce coin perdu.. En fait, il n’en a pas vraiment hérité. Son oncle est mort. Il n’avait pas de testament. Théoriquement, l’endroit appartient à une cinquantaine de proches parents et cousins dont il n’a jamais entendu parler. De toutes façons, personne ne s’établit à Altana.
Le village est à moitié déserté. Un jour, il y a eu des enfants et des habitants. Quand le travail s’est fait rare, après la Guerre, la plupart sont partis, laissant leurs maisons et leurs cultures à l’abandon. Les champs qui avant étaient cultivés ont été envahis par la forêt.
Pour s’y rendre, il faut monter les collines par une petite route à une voie bordée de primevères parce que c’est le printemps. Au loin, les Alpes sont encore enneigées. Je pointe une montagne lointaine et Patrick me dit que là-bas, c’est l’Autriche.
La mission de la journée était de commencer à défricher un lopin de terre un peu en amont du village. Patrick voudrait y planter des amandiers et des châtaigniers un jour. On a passé l’après-midi à défricher, couper du bois pour l’hiver, arracher les clématites, le lierre et les ronces qui envahissent le lot et étouffent les arbres. Je me suis coupé un tas de fois avec ces saloperies de ronces. Pour moi, ça restait abstrait comme plante, c’était ce qui entourait le château de la Belle au bois dormant ou encore un mot qui sonnait bien : ronce. Mais, après avoir tiré sur une branche et s’être enfoncé une épine dans la main, on finit par comprendre.
J’ai lancé les billots jusqu’au chemin pendant que Patrick finissait d’ébrancher les arbres. Le soleil commençait à rougir. Au loin, la neige de la mystérieuse montagne d’Autriche était toute rose. On pouvait entendre les chiens aboyer depuis l’autre village, en bas. Là-bas, m’avait dit Patrick, il n’y a plus que trois maisons habitées.
Le temps à l’envers
Après avoir bouffé des pizzoccheri, écouté du De André et bu pas mal de vin, on est allé sur un autre des lopins de terre de Patrick pour faire un feu (il avait fini de défricher celui-là l’année dernière et il lui restait un énorme tas de branches à faire flamber).
Ça a duré jusqu’à trois heures. La nuit crevée d’étoiles, les villages au loin dans les montagnes qui ressemblent à des îles perdues dans le ciel, les aboiements des chiens dans la vallée, le feu de ronces qui crépite. Au loin, on voyait les lumières de Cividale, ancienne ville romaine d’importance. J’ai demandé à Patrick quand avait été fondé Altana. Je me suis rapidement rendu compte, à voir sa tête, d’à quel point ma question était stupide. Depuis toujours… Évidemment.
Et puis, on était là, sur la terre que Patrick avait redéfrichée, et sur laquelle il avait réussi à planter des amandiers et des noyers. Encore à brûler des ronces, même après deux mille ans de civilisation.