« Le bilinguisme représente un défi pour le cerveau », énonce Mme Ansaldo, également directrice du laboratoire de plasticité cérébrale, communication et vieillissement au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
« Pour assimiler une deuxième langue, notre cerveau doit d’abord apprendre à inhiber notre langue maternelle, afin de pouvoir accéder à la seconde, explique la professeure. Cela demande une pratique régulière de la fonction exécutive du cerveau qui peut s’avérer exigeante, mais tout apprentissage est un défi ! »
L’étudiante à la maîtrise en études allemandes Michelle Bélisle estime aussi qu’apprendre une nouvelle langue aiguise la curiosité. « L’apprentissage des langues nous garde dans un état de curiosité constante, et cela ne peut être que bénéfique », s’exclame-t-elle. Elle estime aussi que cette curiosité se révèle particulièrement utile dans son domaine d’études, car cela lui donne accès à des textes qui n’ont pas été traduits.
Gymnastique intellectuelle
Mme Ansaldo illustre le processus cognitif impliqué dans cet apprentissage. « Dans un premier temps, la région frontale du cerveau est très sollicitée, mais une fois la seconde langue acquise, il n’a plus besoin de passer par cette région pour choisir entre les deux langues, expose-t-elle. Le cerveau arrive à se rendre à l’information dont il a besoin sans effort. Il devient alors naturel pour lui d’appliquer cette nouvelle stratégie à des tâches qui n’ont rien à voir avec les langues. » Elle ajoute que des tests d’imagerie fonctionnelle ont permis de constater que, devant la même tâche, les cerveaux bilingues et unilingues réagissent différemment. Un cerveau unilingue activera son ère frontale avant d’activer l’ère spécifique à la tâche à effectuer, alors qu’un cerveau bilingue se rendra directement à l’information recherchée. Ce raccourci fait toute la différence, selon la chercheuse.
« L’ère frontale est la partie du cerveau la plus vulnérable au vieillissement », précise Mme Ansaldo. Par conséquent, le fait qu’un cerveau bilingue ne sollicite son ère frontale que lorsque c’est nécessaire permet de préserver cette importante région et le rend plus performant, plus longtemps. Le cerveau demeure souple et alerte, et résiste plus facilement aux effets du vieillissement et de certaines maladies. Les symptômes de l’Alzheimer, par exemple, peuvent se manifester jusqu’à sept ans plus tard chez les bilingues que chez les unilingues, selon la professeure.
L’étudiante au baccalauréat en études anglaises et littérature comparée Clémence Lepic, pense que le bilinguisme représente toutefois un défi moindre lorsqu’il est entrepris à l’enfance. « L’assimilation se fait souvent dans une logique d’habitude, de quotidien, affirme-t-elle. Cet aspect moins forcé rend l’apprentissage d’une nouvelle langue plus facile pour l’enfant. » D’après Mme Ansaldo, apprendre une langue jeune permet en effet de profiter d’une gymnastique cérébrale et de ses avantages toute la vie.
Pour Clémence, les bénéfices du bilinguisme ne touchent pas seulement la santé. « Pour moi, connaître plusieurs langues a des répercussions positives sur le plan social, sur l’autonomie, sur la confiance et sur le développement d’une personne », estime- t-elle. Pour Mme Ansaldo, la meilleure façon de garder son cerveau jeune reste de lui imposer constamment de nouveaux défis.