Bientôt la décriminalisation des drogues au Québec ?

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Par Edouard Ampuy
lundi 9 novembre 2020
Bientôt la décriminalisation des drogues au Québec ?
Fin août, le directeur de la santé publique, Horacio Arruda, s’est prononcé en faveur de la décriminalisation des drogues au Québec. Image par Steve Buissinne de Pixabay
Fin août, le directeur de la santé publique, Horacio Arruda, s’est prononcé en faveur de la décriminalisation des drogues au Québec. Image par Steve Buissinne de Pixabay

La semaine dernière, les électeurs de l’Oregon, aux États-Unis, se sont prononcés en faveur de la décriminalisation de toute possession de stupéfiants, parmi lesquels les drogues dures comme l’héroïne ou la cocaïne. Au Québec, des discussions vont dans ce sens. D’après le professeur en inadaptation psychosociale et toxicomanie à l’UdeM Jean-Sébastien Fallu, ce n’est qu’une question de temps avant que la province se décide à décriminaliser les drogues dures. 

« Pour moi, c’est une certitude absolue que l’on s’en va vers la décriminalisation des drogues partout en Occident », affirme M. Fallu.

D’après le professeur, la criminalisation encore en place est loin d’atteindre ses objectifs. « Elle suppose un effet de dissuasion peu démontré scientifiquement, explique-t-il. Elle ne réduit pas l’usage et ses problèmes, et elle va jusqu’à créer des effets pervers. » La criminalisation favoriserait la consommation de drogues dans des contextes plus risqués ainsi que l’utilisation de produits n’ayant subi aucun contrôle qualité.

Des discussions en cours

Au Québec, la possession de drogues dures est encore un crime. « Si on regarde la loi, quelqu’un qui se fait prendre va se faire accuser au criminel », précise M. Fallut.

Pourtant, la situation semble avancer et des discussions autour de la décriminalisation se font plus régulières. Fin août, le directeur de la santé publique, Horacio Arruda, s’est prononcé en faveur de la décriminalisation des drogues au Québec. Le mois précédent, le Service de police de la Ville de Montréal avait indiqué « faire preuve d’ouverture » dans le débat.

Au niveau fédéral, l’Association des chefs de police du Canada a appelé à décriminaliser les drogues. « Nous recommandons que l’application de la loi cède sa place à une approche intégrée, axée sur la santé, et fondée sur des partenariats entre la police, le secteur des soins de la santé et les divers ordres gouvernementaux. », avait déclaré le chef de la police de Vancouver, Adam Palmer, à La Presse canadienne.

La différence entre une décriminalisation de facto ou de jure

Le 17 août dernier, la directrice des poursuites pénales du Canada (DDP), Kathleen Roussel, a ordonné à ses procureurs de cesser de déposer des accusations criminelles dans les cas de possession simple de drogues, quelle que soit la substance.

M. Fallu souligne que cette directive reste une décriminalisation de facto, dans les faits, et non de jure, dans la loi*. « Dans la loi, la possession est encore criminelle, rappelle le professeur. Mais la DDP a émis une directive, disant qu’il faut cesser de prioriser cette infraction. »

Grâce à une décriminalisation de jure, l’infraction est sortie du Code criminel. Elle peut demeurer une infraction, mais dans un autre cadre, comme celui du Code civil.« En Oregon, par exemple, il y a encore une amende de 100 dollars attachée à la possession, mais ce n’est plus criminalisé, illustre M. Fallu. Les individus peuvent s’en tirer en acceptant de suivre des séances gratuites dans des centres de désintoxication. »

Les limites de la criminalisation

M. Fallu rappelle que la criminalisation initie une stigmatisation systémique aux conséquences toxiques pour les personnes utilisatrices de drogues dures. « Elles vont avoir honte, vont être exclues et perdre leur soutien social, ce qui ne peut qu’inciter à consommer davantage, indique le professeur. On va aussi leur refuser des soins, ou elles-mêmes ne vont pas avoir le réflexe d’aller chercher de soins. »

Pour le professeur, criminaliser des individus ayant eu des problèmes liés à des historiques familiaux, développementaux ou à des problèmes de pauvreté est aberrant. « Ce sont parfois des gens qui ont eu la vie difficile, et on vient les punir au lieu de les aider », se désole-t-il.

La crise des opioïdes au Canada

La crise sanitaire aurait entrainé une croissance des surdoses à Montréal. La ville aurait enregistré le plus grand nombre de décès depuis la vigie des surdoses instaurée il y a six ans et 23 décès seraient probablement liés à une intoxication aux drogues de rue en juillet dernier. Au début du mois de septembre, certaines provinces comme la Colombie-Britannique ou l’Ontario affichaient plus de décès attribuables à des surdoses qu’à la COVID-19.

D’après M. Fallu, la décriminalisation peut aider, sans pour autant apporter une réponse définitive au problème. « C’est un début », admet le professeur, pour qui seule la légalisation des drogues permettra d’apporter une solution aux problèmes fondamentaux qui entourent leur consommation.

« Comme l’a dit Justin Trudeau à propos de la décriminalisation, ce n’est pas une solution miracle, mais allons-nous attendre un miracle ? », interroge le professeur.

 

*D’après le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, les approches de facto suivent des directives informelles ou ne relevant pas du domaine juridique. Les approches de jure s’inscrivent dans le cadre de politiques officielles et de lois.