Braver tout ce que le code déontologique de la profession de journaliste désapprouve : c’est possible, avec le journalisme gonzo ! Particulièrement en vogue dans les années 1960 et 1970, ce mode d’écriture a des émules aujourd’hui. Il reste cependant associé à la marginalité et à la contre-culture. Analyse d’un genre au « je ».
« Je ne crois pas à l’objectivité journalistique. C’est un mythe : à partir du moment où le journaliste fait des choix, a un bagage et des valeurs, il est subjectif et cela transparaît dans son travail ». Catherine Perreault-Lessard est rédactrice en chef du magazine Urbania. Quand elle écrit un reportage, c’est souvent à la première personne avec une pincée de provocation. La journaliste est adepte du style gonzo.
Le journalisme gonzo est née dans les années 1960, sous la plume de Hunter S. Thompson. Ce type de pratique est affilié au Nouveau journalisme, que l’on doit à Tom Wolfe, auteur américain qui invente le terme dans les années 1970. Pour lui, le Nouveau journalisme comporte quatre caractéristiques principales : la mise en scène doit primer sur la narration historique ; les dialogues doivent être transcrits en entier, sous la forme de conversation plutôt que de citations ; le journaliste doit écrire à la première personne ; les anecdotes et les récits du quotidien doivent être utilisés afin de mieux décrire la vie du personnage.
« La subjectivité du journaliste permet au lecteur de prendre position, dit Catherine Perrault-Lessard. Cette démarche est aussi plus transparente, plus honnête ». Rendre l’ordinaire extraordinaire, telle est la mission première affichée par le magazine Urbania. Catherine Perreault-Lessard croit aux histoires. Selon elle, afin de les raconter de la meilleure façon possible, il faut les avoir vécues.
« Le journalisme gonzo, c’est s’infiltrer dans un milieu. Il faut oublier la casquette du journaliste et la distance avec le sujet ». Pour le numéro spécial hockey du magazine, Catherine Perreault-Lessard s’est infiltrée dans le milieu des « puck bunnies », ou « plottes à puck », ces femmes adeptes de hockey usant de tous les moyens possibles pour obtenir les faveurs sexuelles de leurs héros. La journaliste a ainsi fréquenté les mêmes bars que ces femmes, a assimilé les codes et les règles propres à leur milieu, et a même essayé d’approcher un joueur de hockey. Au final ? Un texte vivant et accrocheur.
Mais à vouloir trop se mettre en scène dans un récit, le risque est de tomber dans l’égocentrisme, comme l’explique la journaliste : « Le sujet, ce n’est pas toi. L’utilisation du “je” doit simplement mettre en valeur le sujet. Il ne faut pas chercher à se faire connaître. Il ne s’agit pas de s’ériger en vedette ».
Blanche Wissen est professeur de presse écrite à l’Université de Montréal, et elle a un avis très tranché sur le journalisme gonzo : « En quoi le journaliste doit-il se mettre en scène ? Pour moi, exit l’ultra subjectivité, elle n’a pas sa place dans le travail journalistique. Il vaudrait mieux, pour les adeptes de S. Thompson, se convertir en écrivain, à la fiction. ».
En effet, un des sujets de polémique autour du journalisme gonzo est l’utilisation de la fiction dans les articles. Certaines mises en scène fictives, s’inspirant de faits réels, permettraient de mieux saisir la réalité. Pour le chef de file du style, Hunter S. Thompson, « la fiction est une passerelle vers la vérité, que le journalisme ne peut atteindre ». Un non- sens pour la journaliste Blanche Wissen, qui reprend les propos de Pierre Sormany dans son livre Le métier de journaliste : « Le journalisme traite de faits réels, pas de fiction. C’est la caractéristique fondamentale du genre, sinon, on parle de littérature, pas de journalisme ! ».
Ce style hybride flirte en effet avec la littérature, la chronique ou bien le journalisme d’investigation. C’est ce qui fait la force, mais aussi la faiblesse de ce genre. En effet, si le gonzo attire beaucoup de jeunes journalistes, c’est parce que ce style d’écriture paraît assez facile. Il suffirait ainsi d’écrire une histoire vécue, avec ce qu’il faut de verbiage et d’impertinence. D’ailleurs, les pseudo-journalistes gonzo pullulent sur le web, et leurs articles se rapprochent plus d’un blogue d’humeur que d’une recherche journalistique véritable. Le journaliste gonzo gagnerait à se renouveler, car à vouloir trop ressembler à Hunter S. Thompson, l’originalité, clef de la démarche, se perd.
« Le journaliste gonzo allie la plume d’un maître reporter, le talent d’un photographe de renom et les couilles en bronze d’un acteur »
Provocateur, Hunter S. Thompson l’était, sans aucun doute. Dans les années 1960, il crée le journalisme gonzo qui consiste en une enquête ultra subjective formée de récits à la première personne. Ce personnage haut en couleur se fait connaître en 1965 avec son livre sur le gang de motards Hells Angels de Californie avec lequel il vit durant une année. C’est aussi l’auteur de Las Vegas Parano, récit déjanté où se mêlent substances hallucinogènes et quête du rêve américain.