Le nombre de nouvelles inscriptions a particulièrement chuté dans les programmes de premier cycle dans la plupart des universités québécoises à la session d’automne 2022, selon les révélations d’un document fourni par le BCI**.
L’UdeM n’est pas en reste, enregistrant une baisse de 3,9% des inscriptions dans les programmes de premier cycle, comparé à une baisse de 2,5% en moyenne pour les programmes du même cycle à la grandeur de la province.
Selon la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, ces statistiques doivent être lues à la lumière du contexte socio-économique actuel. «Traditionnellement, lorsqu’il y a une période de plein-emploi additionnée à une pénurie de main-d’œuvre, les gens ressentent moins le besoin de se former ou de retourner aux études, explique-t-elle. C’est ce qui explique la baisse des inscriptions dans les programmes de premier cycle ou de la FEP [Faculté d’éducation permanente], par exemple.»
L’étudiant au certificat en journalisme Sacha-Wilky Merazil comprend celles et ceux qui laissent l’université de côté. «C’est certain que quand tu vois ta facture d’université, je peux comprendre les gens de vouloir aller sur le marché du travail et de reprendre leurs études plus tard», témoigne-t-il.
Mme O’Meara relate par ailleurs que «le creux démographique que nous traversons» est un autre facteur à prendre en considération. Or, cette explication n’est plus tout à fait actuelle, selon le professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique et spécialiste de la question du financement universitaire Pier-André Bouchard St-Amant. «Cela ne tient pas compte du fait que le profil des gens à l’université a changé ces dernières années et qu’il n’est plus composé que de jeunes de 18 à 25 ans», souligne-t-il.
Impact sur les finances
La baisse d’effectifs n’est pas sans conséquence, au-delà des frais de scolarité en moins dans les coffres de l’Université. Ainsi, dans l’amas statistique dévoilé par le BCI se trouve un chiffre sur la variation de la «masse de crédits au premier cycle». Cet indicateur sert à calculer l’effectif étudiant de chaque université du Québec. Selon les estimations de M. Bouchard St-Amant, 70% de l’argent octroyé par le gouvernement québécois aux universités est basé sur l’effectif étudiant.
Or, le rapport du BCI indique justement une baisse de 2,5% de la masse de crédits au premier cycle à l’UdeM. Celle-ci pourrait donc avoir une incidence sur le budget de l’Université. «L’impact sur le budget de l’UdeM de la baisse des effectifs étudiants est en cours d’analyse», précise Mme O’Meara, interrogée sur le rôle éventuel de la baisse des inscriptions, et donc du financement, sur une réduction de l’offre de services à l’Université. En février 2022, les recteur·rice·s des universités québécoises s’inquiétaient d’ailleurs déjà du sous-financement de l’enseignement supérieur, qu’ils estimaient pire qu’en 2012***.
Pour sa part, M. Bouchard St-Amant croit que le scénario actuel de décroissance des effectifs est difficilement compatible avec le maintien des seuils de financement des universités à long terme. À l’inverse, «dans une perspective gouvernementale de services d’enseignement donnés par les universités, la question peut être : est-ce que les universités ont plus d’argent que nécessaire, vu les baisses d’effectifs?», s’interroge-t-il.
L’argent suit les besoins
«L’intention première du financement aux intrants [les étudiant·e·s, les bâtiments, les frais d’entretien, etc.] est de refléter l’évolution des besoins», rappelle le professeur. La même logique de répartition des ressources en fonction des effectifs de chaque université se reproduit ensuite à l’interne, comme le mentionne le finissant à la maîtrise en physique à l’UdeM Jérémy Savoie. «La Faculté des arts et des sciences de l’UdeM regarde le nombre d’inscriptions dans un programme pour déterminer les montants alloués pour des charges d’auxiliaires», donne-t-il en exemple.
Cette formule de financement, comme d’autres liées au taux de diplomation ou à l’atteinte de cibles de performance, induit par le fait même certains comportements au sein des administrations universitaires. «Dans le cas du financement lié aux effectifs étudiants, on va parler d’améliorer l’accessibilité aux études», indique M. Bouchard St-Amant. Mais le financement aux intrants peut aussi encourager des formes de «course à la clientèle», où les universités se concentrent plus sur la recherche d’argent que sur leur mission d’enseignement et de recherche, d’après l’expert.
Au Québec, où la formule actuelle est ainsi centrée sur les effectifs étudiants, M. Bouchard St-Amant cite l’exemple de la création de nouveaux campus, en particulier sur la couronne nord de Montréal, pour illustrer les effets induits par ce type de financement. «L’Université du Québec en Outaouais a décidé d’y installer un pavillon, l’UQÀM y a un centre universitaire, l’Université de Montréal aussi, précise-t-il. Il y a un mini-boom démographique dans cette région, et donc un intére?t des universités à s’y installer.»
Une formule de financement à revoir?
TYPES DE FINANCEMENT PUBLIC DES UNIVERSITÉS Le financement inconditionnel : l’argent est alloué aux universités sans condition. Le financement aux intrants : l’argent est proportionnel au nombre d’étudiant·e·s, de professeur·e·s, de bâtiments, etc. Le financement aux extrants : l’argent est alloué aux universités en fonction de la production universitaire, que ce soit le nombre de diplômé·e·s, le nombre d’articles, etc. Le financement conditionnel : l’argent est alloué aux universités si une certaine cible est atteinte, comme un taux de diplomation. Source : Évaluation comparative du financement des universités, Groupe de recherche en économie publique appliquée, sous la direction de P.-A. Bouchard St-Amant, 2021. |
Pour M. Bouchard St-Amant, la question se pose surtout de savoir si la part prépondérante accordée aux intrants dans la formule de financement des universités au Québec ne devrait pas être revue à la baisse. Le coauteur de l’ouvrage Démystifier la formule de financement des universités : compréhension des effets et des intérêts pour les institutions en enseignement supérieur, paru en février 2022 aux Presses de l’Université du Québec, juge ainsi que la volatilité du financement lié au nombre d’étudiant·e·s d’une année à l’autre peut nuire à la planification à long terme des universités.
Le professeur propose de réduire la part de financement qui dépend de l’effectif étudiant afin d’accroître la composante de financement inconditionnel octroyé par le gouvernement aux universités québécoises. «Il y a certainement un arbitrage à faire entre les coûts directs et les besoins à long terme, estime-t-il. Mais baisser le dosage du financement lié au coût direct permettrait aux universités de penser un peu plus à plus long terme.»
Manque d’accès aux données
Selon M. Bouchard St-Amant, des changements dans la formule de financement des universités au Québec demande non seulement une réflexion normative sur la mission prêtée à l’enseignement supérieur et à la recherche, mais aussi des données sur lesquelles appuyer cette réflexion. Comparer le système universitaire québécois avec d’autres systèmes peut ainsi être intéressant, du moment que les données sont accessibles au Québec.
Or, celui-ci souligne que pour des chercheur·euse·s comme lui, avoir accès aux données internes des universités québécoises est difficile. «Par exemple, si on veut étudier comment un régime de financement tel qu’il existe au Danemark se ferait au Québec, on a besoin des données de réussite et d’échec des étudiants dans les activités d’enseignement, détaille-t-il. Les registraires ont ces informations, mais elles ne sont pas disponibles à grande échelle pour la recherche.»
1- Pour cet article, les données de l’UdeM n’incluent pas celles de HEC Montréal et de Polytechnique Montréal.
2- Bureau de coopération interuniversitaire «Données préliminaires relatives aux inscriptions au trimestre d’automne 2022», 30 septembre 2022
3- BÉLAIR-CIRINO, Marco (2022) : «Le sous-financement des universités est pire qu’en 2012, soutiennent les recteurs», Le Devoir, 16 février