La voiture électrique, c’est beau, c’est propre, c’est à la mode. L’électricité, en revanche, ne se produit pas toute seule. Que se passerait-il si tous les véhicules routiers du Québec passaient demain de la pompe à la prise? Petit exercice de prospective énergétique.
Depuis le dernier Salon International de l’Auto de Montréal, où les principaux cons tructeurs ont presque tous présenté un modèle abordable et suffisamment autonome, la voiture électrique est devenue une réalité pour le grand public. Au pays d’Hydro-Québec, la presse a largement salué l’événement avec des titres élogieux.
Présentée comme silencieuse, propre, économique, la voiture électrique incarne beaucoup d’espoirs, notamment en matière de lutte contre les gaz à effet de serre. Dans la mesure où les transports terrestres carburent presque exclusivement au pétrole, une ressource en voie d’épuisement et lourdement polluante, il est compréhensible que l’avènement de l’électricité dans ce secteur soit vu comme une planche de salut.
Cependant, le passage à la voiture électrique ne peut pas pour autant se faire sur un coup de baguette magique. La quantité comme la qualité de l’énergie mise en jeu posent des défis technologiques majeurs.
Le secteur des transports est un ogre qui engloutit 27 % de l’énergie mondiale. Sa croissance, surtout, est ahurissante. La consommation énergétique liée aux transports a presque triplé en 30 ans. Aussi, la dépendance au pétrole est extrême puisque les hydrocarbures alimentent 97 % de tout ce qui roule.
Accroître la production d’énergie
Remplacer le pétrole suppose donc d’accroître massivement la production d’énergie électrique. Or, la quasi-totalité de l’électricité mondiale demeure produite à partir d’uranium (16 %), de gaz (20 %), surtout de charbon (40 %) et même d’un peu de pétrole (7 %). Toutes ces ressources sont limitées et non renouvelables ; leur utilisation cause des impacts environnementaux aussi graves, voire pires que ceux du pétrole.
Dans le schéma énergétique actuel, généraliser l’électricité dans les transports ne résoudrait donc globalement aucun problème. Le recours à la voiture électrique n’est finalement durable que si l’électricité qu’elle consomme est produite à partir de sources propres et renouvelables, comme l’hydraulique et l’éolien.
Le cas très particulier du Québec
C’est là que notre contexte devient intéressant puisque nous produisons 95 % de notre électricité grâce aux barrages (0,3 % au moyen de l’éolien). La Belle Province est-elle pour autant prête à cette transition ? Pour l’instant, les transports y dépendent à 99,8 % du pétrole.
Autos, camions et trains brûlent environ 11 milliards de litres de produits pétroliers chaque année, ce qui représente 28 % de l’énergie totale consommée sous toutes ses formes au Québec. L’équivalent en électricité de l’énergie générée par la combustion de cette essence et de ce diesel correspond à 112milliards de kWh, soit plus de la moitié de toute l’électricité utilisée dans la province chaque année (192 milliards de kWh), ou encore près du double de la consommation des 3,6 millions de foyers québécois. En données brutes, il faudrait donc augmenter notre production d’électricité de 60 % pour remplacer tout le parc roulant actuel par son équivalent électrique.
Heureusement, le calcul ne s’arrête pas là. Le rendement des moteurs thermiques est très mauvais — de l’ordre de 15 % —, ce qui signifie qu’environ seulement 1/7 de l’énergie contenue dans le carburant sert à la propulsion du véhicule. En revanche, le rendement d’un moteur électrique est excellent — de l’ordre de 90 %. Même en y ajoutant les pertes dues au transformateur nécessaire à la charge de la batterie de la voiture (10 %), le rendement de la batterie elle-même (un autre 10 %) et les pertes liées au transport de l’électricité dans les lignes (environ 7 %), on obtient un rendement global de l’ordre de 65 %.
Pour remplacer le pétrole utilisé par le transport routier, il ne suffit donc plus que de 26 milliards de kWh. Cela représente quand même plus de trois fois la production du futur complexe hydroélectrique de la Romaine, un chantier échelonné sur sept ans et au coût de 6,5milliards de dollars. Ce n’est cependant pas infaisable, d’autant que le Québec est excédentaire d’environ 18milliards de kWh exportés chaque année.
Cette conclusion optimiste ne doit pas occulter le fait que le Québec est un cas presque unique au monde en ce qui concerne la proportion d’énergie issue de sources renouvelables ; que le nombre de voitures sur son territoire augmente de 3 % chaque année; que les barrages et les éoliennes prennent beaucoup de place et que les sites propices à leur installation ne sont pas si nombreux ; qu’utiliser le courant que nous exportons revient à se priver d’un gros revenu et que s’équiper en centrales coûte très cher et qu’enfin, rien n’est illimité au Québec comme à la surface de cette planète.
Nous achetons du temps avec la voiture électrique. Toutefois, un jour ou l’autre, nous n’aurons pas d’autre choix que de remettre plus profondément en question notre mode de vie, notamment le «tout seul dans mon gros char».