Le secteur québécois des arts et de la culture s’oppose farouchement au projet de loi fédéral C-11 qui dépossède les auteurs de leurs droits dans un contexte éducatif. Cette fois, avec un gouvernement majoritaire, le projet de modernisation de la Loi sur le droit d’auteur déposée début octobre a, toute les chances d’être adopté d’ici Noël.
L’inquiétude des créateurs vient surtout de l’exception en éducation, une disposition qui bafoue, selon eux, maints principes fondamentaux en matière de droit d’auteur. Une œuvre littéraire ou scientifique pourrait être photocopiée dans un recueil de cours sans que l’auteur perçoive les droits ou en soit même averti.
Selon l’Union des écrivains du Québec (UNEQ), le gouvernement Harper légalise des pratiques qui privent les auteurs de leurs droits. «Pour les écrivains, leurs œuvres c’est leur travail. Lorsqu’on utilise leur travail, c’est tout à fait normal qu’ils aient un revenu et qu’ils aient un salaire, explique le nouveau directeur de l’UNEQ,Francis Farley-Chevrier . Il s’agit d’un cas où il serait acceptable de ne pas payer les créateurs pour l’utilisation de leur travail alors qu’il ne viendrait à l’esprit de personne d’arrêter de payer l’Hydro, aussi utilisée par une institution d’enseignement.»
L’UNEQ est l’une des 18 associations professionnelles québécoises membres de Culture équitable, un comité ayant pour but d’informer et de mobiliser l’opinion publique contre le nouveau projet de loi C-11 sur le droit d’auteur. Le regroupement compte plus de 50000 artistes et titulaires de droit d’auteur. En s’associant, ils souhaitent dénoncer une loi qui « exclut les auteurs d’une loi qui porte leur nom», sous prétexte de permettre une meilleure diffusion des œuvres.
Ce projet de loi suscite de l’opposition, tout comme le précédent projet C-32 qui avait provoqué de vives contestations de la part du milieu culturel l’an dernier. Il avait dû être abandonné au déclenchement des élections de 2010. En revanche, personne ne conteste la modernisation de la loi, restée inchangée depuis 1988 et jugée désuète avec l’arrivée d’Internet et des technologies numériques.
Cette position est partagée par Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public (CRDP) de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Selon lui, le raisonnement du gouvernement est illogique. «Si c’est vrai pour le droit d’auteur, ça devrait être vrai pour tous les autres biens qu’on utilise en matière d’éducation. On prive de revenus toute une partie de la communauté créative, soutien-t-il. L’éducation est une tâche noble. Personne ne conteste ça. La question qui se pose, c’est: est-ce que c’est aux auteurs de financer l’éducation? C’est une tâche qui revient habituellement à l’État.»
Un choix politique
Essentiellement, les droits d’auteurs permettent aux créateurs d’obtenir une rétribution et de contrôler l’utilisation de leur travail. La nouvelle loi permettrait l’utilisation gratuite des œuvres littéraires, artistiques, dramatiques et musicales dans un cadre pédagogique sans l’accord des créateurs. «En ce moment, les livres qui sont lus au cégep sont achetés par les étudiants. Ce qui m’inquiète, ajoute-t-il, ce serait qu’un professeur décide de copier, photocopier et distribuer un de mes livres à ses étudiants. » dit Éric Dupont, auteur et enseignant en traduction à l’Université McGill.
Aussi, le terme «éducation» utilisé dans la loi n’est pas défini et reste d’ailleurs assez flou, selon Pierre Trudel. «La manière dont je comprends le projet de loi, l’exception semble assez large. Cela me semble difficile lorsqu’on lit le projet de loi d’exclure toutes utilisations commerciales.», précise-t-il.
Le système québécois
« Ce qui choque beaucoup les artistes, c’est que depuis les deux dernières décennies ici au Québec, tout le monde a travaillé très fort pour mettre en place un système de licence pour assurer la rémunération des oeuvres dans un contexte éducatif. Ça semble être menacé par le projet de loi», explique Pierre Trudel.
En 1997, le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation du Québec ont proposé la création de l’organisme Copibec dont le mandat consiste à percevoir les droits. «Par exemple, lorsqu’on fait un recueil de textes ici à la Faculté de droit, on remplit un formulaire Copibec. On indique les oeuvres qu’on utilise. Ça permet à une somme d’être versée à l’auteur et à la maison d’édition, ce qui compense pour l’utilisation des photocopies des œuvres» explique Pierre Trudel.
« Je suis très, très pessimiste », avoue l’auteur Éric Dupont. La population interprète la loi comme un cadeau qu’on lui fait », ajoute-t-il. Le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier, pense que le nouveau projet de loi dévalorise socialement le travail des auteurs. «La loi sur le droit d’auteur, c’est encourager ceux qui font cette profession en leur assurant un revenu. Et si on met de côté ce système-là, on enlève la reconnaissance. Ce n’est pas juste une question d’argent. C’est une question d’accorder une valeur au travail qu’on fait», insiste-t-il.
«À mon avis, dans cette conception là, l’auteur ne vaut pas grandchose. La valeur de l’objet intellectuel est méprisée», conclut Pierre Trudel sans hésitation.
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Économies universitaires
Les universités canadiennes dépensent plus d’une dizaine de millions de dollars par année pour l’accès à des documents et des banques de données. En moyenne, un étudiant à temps complet paie alors 25,50 $ par année en droits d’auteur. L’exception au droit d’auteur de nature académique proposée par le projet de loi C-11 sous-tend nécessairement une économie d’argent pour les étudiants.
Les universités canadiennes se seraient prononcées en faveur de ce projet de loi. Pour leur part, les universités québécoises se font discrètes. Flavie Côté, du Bureau des communications, affirme que le projet de loi est suivi de près par l’UdeM.
La FAECUM ne prend pas position. Elle revendique toutefois un ajustement mieux adapté au monde universitaire : «Nous aimerions particulièrement abolir la limite de temps. La loi actuelle prévoit que toutes notes de cours doivent être détruites dans les 30 jours après que l’étudiant ait terminé son cours. Nous trouvons que cela nuit au parcours académique de l’étudiant, puisqu’il est essentiel qu’il puisse conserver le matériel qu’il accumule au cours de sa formation », commente Philippe Cambron, coordonnateur aux affaires académiques de premier cycle. (Christine Berger)