Auprès des autochtones

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Par Timothé Matte-Bergeron
vendredi 4 novembre 2016
Auprès des autochtones
«Plusieurs non autochtones passent complètement à côté de la souffrance qui est derrière les rituels et se retirent quand ils deviennent trop intenses à leur goût», lance la doctorante en anthropologie Marie-Noëlle Doublet. Crédit photo : Courtoisie Volodia Petropavlovsky.
«Plusieurs non autochtones passent complètement à côté de la souffrance qui est derrière les rituels et se retirent quand ils deviennent trop intenses à leur goût», lance la doctorante en anthropologie Marie-Noëlle Doublet. Crédit photo : Courtoisie Volodia Petropavlovsky.
Quartier Libre transporte ses lecteurs sur le terrain au cœur de projets de recherches menées par des étudiants. Dans ce numéro, la doctorante en anthropologie à l’UdeM Marie-Noelle Doublet enquête sur les rituels de guérison issus de la spiritualité autochtone, dans une petite ville des Laurentides.

Quartier Libre : Pouvez-vous nous expliquer brièvement sur quoi porte votre recherche ?

Marie-Noelle Doublet : J’observe depuis cinq ans un point de rencontre entre autochtones et non-autochtones, à Val-Morin, où ont lieu des rituels de guérison qui s’inscrivent dans le mouvement du pan-amérindianisme [NDLR : philosophie qui prône l’unité de tous les autochtones et de leurs pratiques spirituelles, indépendamment de leur nation]. C’est une nouvelle forme d’autochtonie qui émerge, non documentée. J’enquête plus précisément sur ce phénomène des rituels de guérison auxquels tous peuvent prendre part, au sein d’un « clan » dont les fondateurs sont un frère et une sœur autochtones nés hors réserve. Y participent beaucoup d’Amérindiens sans statut, vivant hors réserve, souvent depuis plusieurs générations. Ils ont des blessures identitaires très profondes. Le retour aux origines est pour eux une forme de guérison.

Q. L. : Votre participation en tant que non-autochtone est-elle sujette à des difficultés ?

M.-N. D. : La question de l’appropriation culturelle est très présente sur le terrain. Je me suis d’abord vue dans la catégorie des gens qui « s’appropriaient », et je me suis observée à travers les yeux des autochtones. On a parfois l’air un peu ridicule, un peu de sens se perd. La spiritualité autochtone est un des rares points de rencontre entre les autochtones et les non-autochtones. Mais plusieurs non-autochtones passent complètement à côté de la souffrance qui est derrière les rituels, et se retirent quand ils deviennent trop intenses à leur goût. Cela me fâche. Il y a aussi des gens qui ne sont pas d’accord avec moi, avec ma critique de l’appropriation culturelle. Chez les non-autochtones, quand on pointe ce problème du doigt et qu’on les y associe, cela les agresse beaucoup.

Q. L. : Quelles sont les autres difficultés vécues sur le terrain ?

M.-N. D. : Il y a beaucoup de méfiance. Plus on se rapproche du monde autochtone, moins les gens sont faciles d’accès. C’est souvent très long de nouer des relations profondes. Je ne dis pas toujours que je suis anthropologue, car cela crée souvent une cassure et l’on est aussitôt catalogué, ce qui peut devenir gênant. Les gens ne savent pas bien ce qu’est un anthropologue, ils l’associent à un enquêteur. Je dois toutefois me révéler au moment des entrevues. En général, on le prend bien, mais il arrive que certains refusent de me parler. Il est clair que je ne pourrais travailler sur ce terrain sans mon approche expérientielle. C’est-à-dire que je vis l’expérience de l’intérieur : on ne peut pas entrer dans un sweat lodge, une hutte à sudation, si l’on n’en vit pas l’expérience, cela casserait la dynamique qui y est à l’œuvre.

Q. L. : Vous avez donc dû adapter votre manière de mener votre recherche à ce terrain particulier ?

M.-N. D. : Oui, surtout que je suis seule à travailler sur cette question. Parce que je me situe en dehors des réserves. Pour un chercheur qui fait de l’observation dans les réserves, il y a des balises. Un protocole de recherche préétabli existe, déterminé par l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador, et la recherche, collaborative, passe par le conseil de bande. Moi, je dois me poser la question de rester éthiquement correcte vis-à-vis des autochtones. Je dois alors déterminer moi-même mon propre protocole. Cela m’ajoute une difficulté supplémentaire sur le terrain.

Q. L. : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce sujet ?

M.-N. D. : C’est par hasard que je me suis impliquée dans ce clan. Je suis retournée aux études pour faire une maîtrise en anthropologie, et mon mémoire portait sur le parcours de guérison des pratiquants du yoga sivananda. C’est dans un ashram [NDLR : un lieu de retraite et de prière] de Val-Morin que je suis entrée par hasard en contact avec un membre du clan. J’ai commencé par faire deux observations dans des sweat lodge, puis me suis finalement fait adopter par le clan. Tout cela m’a fascinée. Je ne m’attendais pas à découvrir quelque chose du genre, et ne comprenais pas ce que c’était. J’avais tellement de questionnements que j’ai eu envie d’investiguer, puis de faire mon doctorat là-dessus.