Au coeur de la démocratie directe

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Par Dominique Cambron Goulet
mercredi 4 septembre 2013
Au coeur de la démocratie directe
Hugo Samson était étudiant au Cégep de Saint-Laurent en cinéma lorsqu'il s'est embarqué dans le tournage de Carré rouge sur fond noir. (Crédit photo: Pascal Dumont)
Hugo Samson était étudiant au Cégep de Saint-Laurent en cinéma lorsqu'il s'est embarqué dans le tournage de Carré rouge sur fond noir. (Crédit photo: Pascal Dumont)

Les documentaristes Santiago Bertolino et Hugo Samson ont pénétré le cœur des instances de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), durant toute la grève étudiante. Le film Carré rouge sur fond noir, présenté en ce moment au cinéma Excentris, montre une facette méconnue du printemps érable. 

Les deux cinéastes ont suivi les réunions du comité exécutif de la CLASSE, les négociations avec le gouvernement, des assemblées générales et évidemment de nombreuses manifestations afin d’amasser près de 250 heures de matériel vidéo. Cela leur permet de montrer cette grève étudiante du point de vue interne de la CLASSE. « Ce que l’on trouvait nouveau dans le fait de suivre cette association en particulier, c’était de pouvoir montrer le fonctionnement de la démocratie directe », précise Hugo Samson.

Dans Carré rouge sur fond noir, on peut ainsi voir de nombreux débats lors d’assemblées générales ou de congrès de la CLASSE. « Il fallait demander la permission de filmer lors des assemblées, relate Hugo. Les médias étaient interdits aux congrès, mais les délégués ont voté pour que nous soyons considérés comme des “artistes” et nous donner l’accès. » Cela aide à comprendre comment les débats s’articulaient et le fonctionnement de l’organisation étudiante.

On y observe aussi les émotions par lesquelles passent les différents protagonistes du mouvement étudiant. Que ce soit la colère provoquée par les actions de la police ou l’épuisement mental dû à la longueur de la grève et aux négociations interminables avec les membres du gouvernement.

On y voit Gabriel Nadeau-Dubois démoralisé, ce qui contraste avec l’attitude qu’il adoptait devant les médias. « Je suis tanné, je suis fatigué », se plaint-il dans le film. Celui qui est aujourd’hui étudiant à l’UdeM en philosophie n’est pas dérangé de montrer ce côté de sa personne au grand jour. « Je ne suis pas indisposé par ça, explique Gabriel. C’est traité de manière sombre et respectueuse. Et c’est vrai qu’il y a eu des moments difficiles. »

Des débuts ambitieux

Les deux documentaristes avaient déjà eu l’idée de filmer le mouvement étudiant bien avant son déclenchement. « J’avais essayé de suivre la grève de 2005, se souvient Santiago Bertolino. Mais ça n’avait pas été possible faute de moyens. »

C’est au mois de décembre 2011 qu’Hugo, alors étudiant en cinéma au Cégep de Saint-Laurent et Santiago, déjà dans le milieu du documentaire, ont eu l’idée de suivre la grève étudiante en devenir. « On savait que ça s’en venait, note Hugo. On a donc eu l’idée de filmer, ne serait-ce que pour un devoir d’archives. Puis, à peu près un mois avant la grève, nous avons commencé à tourner avec l’intention de faire un long-métrage documentaire. »

Au départ, le film devait avoir une perspective beaucoup plus large. Cependant, l’ampleur du mouvement a forcé Hugo et Santiago à suivre seulement la CLASSE et plus précisément six de ses membres : Gabriel Nadeau-Dubois, Jeanne Reynolds, Justin Arcand, Maxime Larue, Victoria Gilbert et Philippe Lapointe. « On scénarisait notre film et on trouvait que c’était mieux d’approfondir un camp, explique Santiago. Aussi, les fédérations étudiantes ne démontraient pas la même ouverture»

Toutefois, les « acteurs » admettent qu’il était parfois difficile d’être constamment suivis. « J’ai eu peur, reconnaît Gabriel Nadeau-Dubois. J’ai été craintif avant de voir le film. Mais maintenant que je l’ai vu, je ne regrette vraiment pas. »

Une pointe d’humour

Si le sujet du printemps érable aurait pu être traité de façon très lourde, ce n’est pas le cas de Carré rouge sur fond noir, qui est teinté d’humour. « On souhaitait mettre des passages plus humoristiques, souligne Santiago. Ça allège le film et ça montre toute la gamme d’émotions que les grévistes ont traversée. » Une caractéristique essentielle au film selon Hugo. « Il faut dédramatiser un peu, insiste-t-il. Sinon ça ne serait pas regardable. »

On peut entre autres voir Jeanne Reynolds, co-porte-parole de la CLASSE, expliquer à l’assemblée générale du Cégep de Valleyfield que la grève ne durera qu’au maximum huit semaines. « Je me souviens qu’à l’exécutif de l’ASSÉ, nous avions fait un plan d’action sur huit semaines, se rappelle Philippe Lapointe, alors secrétaire aux affaires académiques. On se trouvait ben hot! Mais après huit semaines on s’est retrouvé sans plan. »

Le film de près de deux heures rappellera donc de beaux (et de moins beaux) souvenirs aux étudiants impliqués dans le printemps érable. « Il faut que Carré rouge sur fond noir reste et qu’il soit vu par le plus de militants et militantes possible dans le futur, insiste Gabriel Nadeau-Dubois. Pour qu’ils puissent apprendre de nos erreurs et de nos bons coups. » Une vision proche du « devoir d’archives » qu’Hugo Samson et Santiago Bertolino avaient dès les premiers balbutiements de leur œuvre.