Volume 20

Au bord de l’abandon

Le sujet a été très peu abordé au Sommet sur l’enseignement supérieur de fin février, mais le décrochage universitaire est pourtant loin d’être un phénomène marginal. Au Québec, en moyenne un étudiant sur trois quitte l’université sans obtenir son diplôme de baccalauréat, d’après le dernier recensement du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Un taux de décrochage supérieur à celui du secondaire, qui était de 17,4 % en 2009-2010.

« Le taux d’abandon à l’université reste constant depuis des années, et c’est ça qui m’effraie le plus », s’inquiète la professeure en technologie éducative à Télé-université Louise Sauvé, qui étudie le phénomène d’abandon et de persévérance aux études postsecondaires. À l’UdeM, le taux de diplomation global après six ans environne les 78 %. Ce qui signifie aussi que 22 % des étudiants n’obtiennent pas leur diplôme de baccalauréat.

 Une première session déterminante

«Les signaux d’alarme de l’abandon se décèlent dès la première session, remarque Mme Sauvé. C’est souvent dès le premier travail que l’on voit si les compétences de l’étudiant sont acquises ou non.» Selon elle, le retour aux études ou la transition cégep-université sont des moments où le risque de décrocher est particulièrement important.

Pour Gabrielle*, c’est un peu des deux. Après avoir interrompu ses études collégiales pour des raisons personnelles, la jeune femme retourne sur les bancs d’école cinq ans plus tard. «Je me voyais vieillir, et je me disais qu’il était temps que je me reprenne en mains», confie-t-elle. Gabrielle réussit bien, elle parvient à obtenir son diplôme d’études collégiales (DEC) en décembre 2011. Motivée, elle s’inscrit en études est-asiatiques à l’UdeM à la session d’automne 2012.

Pour la jeune femme de 25 ans, le passage à l’université s’avère plus épineux que prévu. «Je trouvais ça difficile d’écouter parler quelqu’un et de le voir dérouler ses présentations PowerPoint pendant trois heures, explique-t-elle. Je n’étais pas capable de suivre, d’aller chercher les points clés et de donner du sens à ce que j’apprenais. » Pendant ce temps s’accumulent les lectures et les travaux. «Mes résultats aux examens ont été désastreux, confesse-t-elle. À la mi-session, je voulais me rattraper, faire mes lectures, mais je n’ai rien fait.» Selon Mme Sauvé, le retour aux études ou la transition à l’université nécessite un effort d’adaptation tant sur le plan des stratégies d’apprentissage que de celles d’autorégulation à de nouvelles exigences et consignes de travail.

Même constat pour Frédéric* qui, après avoir obtenu son DEC en sciences de la nature, s’inscrit en génie mécanique à l’université. «Ce qui m’a marqué, c’est de passer du cégep où les profs étaient vraiment disponibles pour t’aider, à de gros cours magistraux à l’université où les profs déroulent leurs présentations PowerPoint, puis merci, bonsoir», se désole Frédéric.

Frédéric, qui éprouve des difficultés en mathématiques, a souvent eu du mal à suivre le rythme des cours. «Si tu ne comprends pas, tu es mieux de demander à un ami qui comprend plus que toi, parce que le prof ne va être disponible que deux heures dans la semaine», fait remarquer Frédéric.

Selon ces étudiants, se faire aider à l’université est difficile. «Il faut être capable de s’autogérer, constate Gabrielle. Je ne me sentais pas à l’aise d’aller voir un prof pour lui dire que ça n’allait pas. Tandis qu’au cégep, tu es à un âge où c’est correct de demander de l’aide.» Louise Sauvé confirme que l’étudiant universitaire perçoit souvent la demande d’aide comme un échec. «Il faut amener l’étudiant à avoir une perception positive de cette demande d’aide, affirme-t-elle. On remarque que l’étudiant qui passe à l’action revient de plus en plus souvent bénéficier d’une aide.»

Amalgame de raisons

Selon Mme Sauvé, l’abandon des études postsecondaires résulte de l’addition de multiples variables, comme le fait de travailler à temps plein pendant ses études, d’avoir des difficultés financières ou encore d’être atteint d’un trouble de l’apprentissage, par exemple. «Il faut rester prudent puisque la décision de l’étudiant d’interrompre ses études ne peut être attribuée à un seul facteur, précise Mme Sauvé. Il faut considérer les conditions environnementales, la qualité de l’enseignement et l’étudiant au coeur de tout ça… c’est un tout!»

Dès le début de sa deuxième session en génie, Frédéric a su qu’il abandonnerait le programme. «C’était beaucoup trop théorique et je ne m’y attendais pas, se rappelle-t-il. Mes échecs en math ne me motivaient pas non plus à poursuivre.» À l’époque, il travaille 30 heures par semaine, en plus de ses cinq cours, et n’a donc plus de temps pour lui. Il quitte alors l’université pour entamer une technique en génie mécanique au cégep, formation plus orientée vers des travaux pratiques et manuels.

Gabrielle, de son côté, se sent impuissante devant ses échecs répétitifs. «Le médecin, ses cours, ça lui sert au bout du compte. Moi, je ne sais pas ce que je veux faire, donc j’avais l’impression de perdre mon temps», réaliset- elle en évoquant son manque d’assiduité mais surtout de confiance en elle-même. «Ce n’est pas que je ne suis pas motivée, c’est que j’ai de la difficulté à croire en moi.»

Et, après ?

Louise Sauvé souligne d’ailleurs que la motivation n’est pas le seul facteur de l’abandon aux études. « Si tu n’as pas les capacités, les stratégies d’études nécessaires, tu as beau être motivé, il y a de grandes chances que tu ne persévères pas, remarque Mme Sauvé. C’est pourquoi il faut donner des outils qui répondent aux besoins de chaque étudiant.» Frédéric terminera sa technique au printemps.

Il projette de retourner à l’université, mais cette fois-ci, en génie métallurgique. « Pour ça, je vais devoir travailler pour me ramasser des sous, estime l’étudiant qui espère devenir ingénieur. Mon objectif, ce serait de ne pas travailler du tout pendant mes études pour mettre toutes les chances de mon côté.» Gabrielle travaille maintenant comme caissière dans une librairie, après avoir quitté l’université en janvier dernier. « Le problème, c’est que j’aime apprendre, pleins de choses m’intéressent, insiste-t-elle. Mais, une fois que je suis rendue là-dedans, je me demande : “est-ce que je vais aimer ça pour le restant de ma vie ?” »

« En ce moment, la persévérance universitaire, c’est le parent pauvre, regrette Mme Sauvé. Nous avons besoin de plus de financement pour intervenir adéquatement.» Un investissement qui permettrait au gouvernement de réaliser des économies, puisque l’abandon des études représente un gaspillage d’argent autant pour l’étudiant que pour la société. Une année d’études universitaires coûte en moyenne 20 000 $ au Québec.

 

* Gabrielle et Frédéric n’ont pas souhaité dévoiler leur nom de famille.

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