Je suis Québécoise. Le Québec, mon pays. Ma fierté. Je vous vois, relire mon nom. Je suis Québécoise. Non, je n’ai pas immigré – serais-je moins Québécoise? Le sang que vous appelez pure laine coule dans mes veines.
Je suis noire.
Je suis Québécoise.
Je suis métissée.
Et si je me permets de vous partager mon opinion, c’est parce que je suis privilégiée. Et je le sais. Mon accent semblable au vôtre vous rassure. Ma peau « pas si foncée » aussi. Quelles raisons pour crédibiliser la voix de quelqu’un… Et avant que vous ne me le demandiez, oui, je suis éduquée et cultivée. J’ai déjà plusieurs diplômes universitaires en poche et je n’ai pas fini d’en accumuler. Madame Lieutenant-Duval m’a même enseigné à l’UQÀM. Une bonne personne. Une bonne professeure. Je la crois, elle n’avait pas de mauvaises intentions. L’erreur est humaine. Encore faut-il la reconnaître.
Vous avez lu comme moi – je l’espère – l’article L’Étudiant a toujours raison, paru dans La Presse. Vraiment, l’avez-vous lu ? Pourquoi les étudiants de l’Université d’Ottawa étaient-ils indignés ? Pourquoi madame Lieutenant-Duval a-t-elle été suspendue ? Le sait-elle ? Le savez-vous ? Elle a prononcé le n-word dans un contexte pédagogique, ce qui a provoqué un malaise au sein de la classe. Mais la question n’est pas là ! Elle s’est excusée de l’avoir prononcé (ce que vous dénoncez), ET elle a proposé à ses étudiants de débattre en classe sur la légitimité de prononcer ce mot. Ses paroles, je cite ici l’article de madame Hachey : « Je vous invite à aborder la question la semaine prochaine afin de réfléchir à ce qui convient pour traiter ce mot. Vaut-il mieux ne pas le prononcer parce qu’il est sensible ? Le silence ne mène-t-il pas à l’oubli et au statu quo ? »
Madame Hachey l’a dit, c’est quand elle a proposé ce débat que « tout a dérapé ». Pourquoi les médias ne mentionnent-ils pas cet élément crucial ? Bien sûr, j’encourage quiconque le veut à s’interroger sur la place du n-word dans notre vocabulaire. Par contre, une personne avec autant d’influence qu’une professeure n’a-t-elle pas le devoir d’apprendre à ses élèves comment se forger une opinion sur la question ? Or, un débat ouvert dans une salle de classe n’est pas le moyen optimal dans ce cas-ci. Pour vous imaginer à quoi aurait ressemblé ce débat, vous n’avez qu’à regarder la couverture médiatique de cet enjeu. Imaginez être une personne noire et voir un bassin de personnes blanches discuter afin de savoir s’il est légitime ou non, s’il est blessant ou non, de prononcer un mot qui ne les affecte aucunement. Je répète : qui ne les affecte aucunement. Je vous entends déjà : « C’est un débat ouvert ! Tout le monde, même les Noir.e.s, auraient été invité.e.s à se prononcer. » Pensez-vous vraiment qu’une personne noire blessée, en état de choc, aurait eu envie de lever la main et d’exprimer une opinion contraire à ce que vous aimez appeler « la liberté d’expression » ? Pensez-vous que cette personne n’a pas déjà suffisamment à subir, chaque jour (un racisme systémique, pour votre information, Monsieur Legault) ? Dites-moi, le débat est-il de savoir si prononcer le n-word est un acte raciste ? Si on devrait avoir le droit de le prononcer si le contexte est légitime ? Ou si on s’empêche de prononcer un seul mot dans l’ensemble du dictionnaire, jusqu’où ira-t-on ?
Vous ne m’avez pas posé la question, mais je vous le dis : j’ai mal. La blessure est encore trop fraîche. Un jour, peut-être serons-nous prêt.e.s, nous, les Noir.e.s, à entendre ce mot mastiqué. Si vous aviez à prononcer ce mot, ne préféreriez-vous pas le dire en sachant que la communauté noire vous donne son accord ? Ne trouvez-vous pas, au fond de vous, qu’il serait plus légitime de laisser s’exprimer la communauté directement touchée par ce mot, plutôt que de demander l’avis de gens qui ne comprennent tout simplement pas la complexité de la chose ? Oubliez, pendant un instant, votre manie de vouloir « avoir le droit ». Et si on vous le donnait, le droit, voudriez-vous prononcer ce mot en sachant que plusieurs personnes dans le groupe auquel vous vous adressez souffriraient en silence ? Nous vivons à une époque où toute nouvelle est instantanée. Vite, il faut réagir ! Les médias, vous qui avez une puissante influence sur l’opinion de la province, avez-vous fait vos devoirs ? Avez-vous interrogé les parties prenantes clés ? Monsieur Laferrière partage votre opinion. Est-il la seule personne noire digne d’une entrevue au Québec ? Et s’il vous avait contredit, auriez-vous annulé la publication de vos articles ?
L’éducation est primordiale. Elle forge l’esprit critique, la personne. Au lieu d’encourager les élèves à s’exprimer sur un sujet sans être outillés, ne devrait-on pas les encourager à poser les bonnes questions aux bonnes personnes ? Ne devrait-on pas apprendre comment apprendre ?