Apprendre à soigner le vivant

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Par Emmalie Ruest
dimanche 7 janvier 2024
Apprendre à soigner le vivant
L’un des premiers modèles du nouveau Centre de simulation et de réalité virtuelle vétérinaire, utilisé dans le cadre d’un cours de détartrage canin. Photo | Juliette Diallo
L’un des premiers modèles du nouveau Centre de simulation et de réalité virtuelle vétérinaire, utilisé dans le cadre d’un cours de détartrage canin. Photo | Juliette Diallo
Située à Saint-Hyacinthe, à une heure de voiture de Montréal, la Faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM forme les soignant·e·s francophones de demain. Les étudiant·e·s y ont accès à une formation adaptée à leurs besoins, à un vaste campus ainsi qu’à des patient·e·s de presque toutes les espèces.

« Chaque cohorte a une classe typique et elle est toujours dans les mêmes locaux, un peu comme si on revenait au primaire », lance avec humour l’adjointe à la vice-doyenne aux affaires académiques et étudiantes de l’Université, Isabelle Daneau. Elle se tient devant l’auditorium des étudiant·e·s de première année, situé dans le pavillon principal du campus de Saint-Hyacinthe de l’UdeM. Ce bâtiment de style Art déco abrite également les bureaux administratifs de la Faculté de médecine vétérinaire (FMV).

Chaque année, la Faculté sélectionne 96 étudiant·e·s au doctorat de premier cycle en médecine vétérinaire (DMV), parmi environ 1100 candidat·e·s. Ce programme de 198 crédits mène à une carrière de vétérinaire généraliste. Les finissant·e·s ont ensuite le choix d’exercer ou de se spécialiser, notamment par l’entremise d’un internat ou d’une résidence au Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV) de Saint-Hyacinthe.

Une formation pratique

Dans l’une des salles du CHUV, des étudiant·e·s de quatrième année s’apprêtent à anesthésier des chattes, qui proviennent du refuge du centre hospitalier en vue d’une stérilisation. Le tout supervisé par la professeure clinicienne My-Loc Lisa Huynh Ngoc. « J’ai eu la piqûre », témoigne celle qui occupe un poste à temps plein au sein de la Faculté. Cette année, elle a d’ailleurs reçu un prix d’excellence en enseignement de l’UdeM pour son approche participative auprès des étudiant·e·s. « J’adore être avec les étudiants et les voir progresser, confie-t-elle. C’est amusant de se dire qu’en première année, je ne les aurais pas laisser toucher à un animal, mais qu’en quatrième année, ils sont autonomes et se préparent seuls. »

Une chute rotative, qui permet de coucher l’animal pour faciliter les examens, située dans l’hôpital des animaux de la ferme. Photo | Juliette Diallo

 

« Il y a vraiment ce souci d’apprentissage par la pratique », témoigne l’étudiante de deuxième année au DMV, Emmanuelle Jetté. Elle énumère les nombreuses occasions de s’exercer auprès des animaux, que ce soit dans le cadre de ses cours ou lors des différents stages obligatoires.

Un contact avec le vivant

En plus de pouvoir travailler sur des tissus organiques, Emmanuelle Jetté a été agréablement surprise d’avoir accès à des vaches, des chevaux, des chiens et des chats d’enseignement dès le début de ses études. Elle explique que ce sont des animaux qui vivent sur le campus et qu’un comité éthique gère leur adoption par la Faculté. Ces derniers proviennent de la Division des animaleries (DANI).

« Avant, on utilisait de vraies têtes d’animaux, et là, on a eu un don de Purina [NDLR : entreprise spécialisée dans l’alimentation pour animaux] », détaille Mme Daneau en montrant de fausses têtes de chien disposées sur des tables et préparées en vue d’une séance de détartrage. Ces prototypes feront partie de la banque de matériel du nouveau Centre de simulation et de réalité virtuelle vétérinaire. Quartier Libre n’a pas pu accéder à celui-ci en raison de travaux de construction en cours.

Mme Daneau précise, qu’avant de les recevoir, des vraies têtes de chiens étaient décongelées et recongelées afin d’être utilisées à leur plein potentiel lors des différents travaux pratiques des étudiant·e·s, qui impliquent des manipulations telles que le détartrage, l’extraction ou les soins des yeux. Les étudiant·e·s continuent néanmoins de s’exercer sur des pièces anatomiques en provenance de l’abattoir pour les grands animaux ainsi que sur des corps donnés au CHUV. « D’où l’importance de donner les corps », insiste Mme Daneau.

Le CHUV en bref

Le CHUV se compose de trois hôpitaux : un pour animaux de compagnie, un pour chevaux et un pour animaux de la ferme. Il dispose aussi de deux cliniques – une ambulatoire et une pour oiseaux de proie, d’une pharmacie et d’un refuge. L’hôpital équin et celui des animaux de la ferme sont spacieux et dotés de plafonds hauts, de corridors larges et de structures métalliques.

La conseillère en communications du CHUV, Julie Dufour, précise que le centre hospitalier traite et accueille environ 25 000 patient·e·s par année. Environ 13 000 animaux de compagnie, 1 800 patients équins, 650 animaux de la ferme et 4 000 bovins en visite ambulatoire, auxquels s’ajoutent également 4 000 chevaux pour lesquels les visites se font à l’extérieur de l’établissement de santé.

Proximité et vie étudiante

« C’est un campus hyper propice à la spécialisation, déclare le résident de troisième année et étudiant au postdoctorat Joachim Lahiani, qui fait sa spécialisation en chirurgie des petits animaux. On est un petit peu en retrait de la vie montréalaise, qui pourrait être distrayante dans des années d’études aussi intensives. » Il apprécie particulièrement la proximité de son lieu d’études et de travail, le CHUV se trouvant dans le centre-ville de Saint-Hyacinthe. « Quand j’ai besoin d’aller à l’hôpital parce que je suis appelé de nuit pour une urgence, j’y vais en 2 minutes 30 secondes à pied, je n’ai pas besoin de prendre ma voiture », se réjouit-il.

 Pour adopter un petit mammifère, un chien ou un chat comme Choucroute, vous pouvez consulter la page Facebook Refuge CHUV. Photo | Juliette Diallo

 

En tant que résident, Joachim Lahiani est à la fois étudiant et enseignant auprès des étudiant·e·s du DMV. Il passe cependant la majeure partie de son temps à travailler au CHUV. « Au travail, j’apprends la vraie vie de mes mentors et j’essaie ensuite de transmettre ces apprentissages à mes étudiants », déclare-t-il.

Emmanuelle Jetté ajoute que l’emplacement du campus rend la vie étudiante « géniale ». « Toutes les personnes que tu vois le matin, à Saint-Hyacinthe, ce sont des étudiants en médecine vétérinaire, s’enthousiasme-t-elle. On occupe la ville ! »

D’une pénurie à l’autre

La pénurie de vétérinaires au Québec touche le corps professoral de la FMV. Emmanuelle Jetté déplore que cette année, beaucoup de ses cours sont préenregistrés en raison du manque de professeur·e·s vétérinaires à la Faculté. Elle précise que ces cours, filmés pendant la pandémie, « sont encore d’actualité », et se demande si la situation sera identique pour les nouveaux étudiant·e·s à Rimouski.

L’UdeM a en effet mis sur pied, en partenariat avec l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), un nouveau programme de médecine vétérinaire qui sera offert dès l’automne 2024. Les étudiant·e·s admis·e·s effectueront leurs trois premières années d’études à Rimouski et feront les deux dernières années de formation au campus de Saint-Hyacinthe. Ce partenariat entre les deux établissements a reçu un soutien financier du gouvernement de plus de 100 millions de dollars. Le programme a été créé pour pallier la pénurie de vétérinaires dans les régions du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Une situation que déplorait la doyenne de la FMV Christine Theoret dans un article de Radio-Canada paru le 24 mai 2022.

Dans une fiche de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec titrée « Pourquoi s’attaquer à la pénurie de médecins vétérinaires ? », on peut lire que « les nouveaux diplômés en médecine vétérinaire ne compensent pas les départs à la retraite, souvent devancés en raison de l’état d’épuisement et de détresse constaté au sein de la profession, sans compter la hausse constante du nombre d’animaux », souligne-t-elle.

D’après Emmanuelle Jetté, les professeur·e·s n’échappent pas à l’épuisement professionnel. Elle fait également référence au taux de suicide élevé dans le métier. Un article de La Presse canadienne paru le 5 février dernier mentionne en effet un taux « presque trois fois plus élevé chez les vétérinaires » que dans le reste de la population. Face à ce manque de vétérinaires au sein du corps professoral, l’adjointe à la vice-doyenne explique que certaines notions de base, comme les cours de génomique ou de biochimie, peuvent être enseignées par des spécialistes qui ne sont pas vétérinaires, mais elle admet un manque pour les cours pratiques. En passant devant l’auditorium des étudiant·e·s de troisième année, Mme Daneau fait remarquer que le professeur du cours d’immunologie vient de Belgique. « On a beaucoup de professeurs européens », confie-t-elle, avant de confirmer que ces professeur·e·s et internes provenant de l’étranger aident ainsi à combler cette pénurie.

 

 

Huynh-Ngoc-4 : La professeure clinicienne My-Loc Lisa Huynh Ngoc supervisant ses étudiant·e·s de quatrième année dans le cadre du cours « Stage préclinique ». Photo | Juliette Diallo

Une mise à niveau pour tous·tes

Ce n’est pas seulement le dossier universitaire qui est étudié au moment de sélectionner les futur·e·s étudiant·e·s du DMV. Les candidat·e·s doivent se soumettre au test CASPer, qui évalue des compétences dites transversales, dont le jugement, le professionnalisme, l’éthique et la capacité de travailler en équipe. Cette portion de l’évaluation compte pour 40?% de leur dossier.

Après l’obtention de son baccalauréat en études théâtrales à l’UQAM, Emmanuelle Jetté a d’ailleurs été agréablement surprise de voir sa candidature acceptée, après deux tentatives. « Je me pince tous les jours ! », avoue-t-elle. Même si certaines personnes viennent de parcours plus conventionnels, de domaines scientifiques, « il y a une tendance à aller chercher des gens qui ont des parcours différents, parce que ça fait des vétérinaires qui ont une autre façon de penser et d’autres intérêts », explique-t-elle. Bien que cette solution n’enraye pas la pénurie, tout comme le nouveau programme du campus de Rimouski et le recrutement de professeur·e·s étranger·ère·s, l’étudiante trouve précieux que la Faculté tente de rendre le programme accessible afin de donner la chance à des étudiant·e·s comme elle.