Volume 20

Anecdotes de grève

C’était à la manifestation du 22 mars sur la rue Sherbrooke. Face à McGill, il y a une immense tour, et j’ai vu des gens sortir de celle-ci en tailleur et costume, des personnes qu’on ne s’attendrait pas à ce qu’elles soutiennent des étudiants, qui distribuent des bouteilles d’eau aux étudiants qui manifestaient. Ça m’a vraiment beaucoup ému.

Au point de départ d’une des manifestations, près de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, j’ai levé les yeux et j’ai vu une femme dans un immeuble, une grande tour de verre, sûrement un lieu de la finance, déployer un carré rouge, du haut de son bureau, par solidarité avec les étudiants, alors que ce monde n’était pas favorable aux étudiants.

Jacques Hamel, Professeur de sociologie à l’UdeM

 

Il est 22 heures. C’est vraiment la folie. On est sur la rue Ontario et la police arrive en courant et en chargeant. On est une cinquantaine. On s’est dispersé vers la rue Sherbrooke en sautant par-dessus une clôture. Il y avait de la fumée partout. J’ai eu peur. Arrivés sur Sherbrooke, la foule s’est rejointe et nous avons continué à marcher. Mais moi, je suis parti 10 minutes plus tard!

Tatum Milmore, Anthropologie

 

Nous autres, à Trois-Rivières, on n’avait pas un panda, mais un Batman qui nous défendait contre la hausse. Il était connu sous le nom de Batman Tremblay. Il protégeait Trois-Rivières contre le Joker Charest.

Jeanne Bettez, Anthropologie

 

J’étais agent de sécurité à Radio-Canada pendant la grève. Quand je travaillais, j’étais habillé en civil parce qu’ils ne voulaient pas que je devienne une cible pour les manifestants. Malheureusement, la police ne pouvait pas faire la différence entre moi et les autres. J’étais souvent au premier rang avec le caméraman quand la police chargeait la foule. Étant donné qu’ils ne pouvaient pas me distinguer, j’ai dû courir pour ma vie ! J’ai été frappé quelques fois. Pendant la manifestation contre le Plan Nord, j’ai été frappé par un rocher lancé par un manifestant. Ce jour-là, j’étais à côté de l’homme blessé au visage par une bombe fumigène.

Vincent Bélisle, Études cinématographiques

 

Je me suis fait arrêter avec une amie alors que je me dirigeais vers une manifestation en juin dernier. Je sortais du métro avec des lunettes et un foulard dans mon sac. Les policiers ont procédé à une fouille complète, ils étaient particulièrement arrogants. Un policier m’a dit : «Tu vas rester avec moi toute la journée, tu vas voir, je suis ton nouvel ami. » J’ai rétorqué : «Avec des amis qui fouillent mon sac, pas besoin d’ennemis.» Les policiers se décident à nous relâcher sans accusation. En sortant, un autre agent nous a intercepté et demandé la raison de notre arrestation. Je lui ai répondu que j’avais en ma possession des lunettes et un foulard. L’agent s’est retourné vers ses collègues et a dit : «Hey les boys, vous avez vraiment sortis ces deux-là pour des foulards pis des lunettes?» Il est revenu vers nous et a dit : «Écoutez les jeunes, on vous laisse partir sans contravention. Pour le moment, rentrez chez vous. Mais surtout, lâchez pas.» Ce policier m’a redonné un peu d’espoir en la profession.

Daniel bélanger, BAA HEC Montréal

 

C’était le temps des casseroles, durant le mois de mai. Chaque soir à 20 heures, on sortait pour frapper sur les casseroles, mais dans mon coin ça ne se faisait pas tellement. Mon amie et moi avons commencé à faire du bruit sur notre balcon. Cette fois, le monde est sorti et on a commencé à marcher sur le boulevard Édouard-Montpetit. C’est devenu super
gros ! Ensuite, on était sur la rue Côte-des-Neiges, qu’on a finalement bloquée. Bientôt il a commencé à pleuvoir à torrent. Il y avait des éclairs. Ce qui est beau c’est que tout le monde a continué de marcher. J’ai trouvé que c’était un bon exemple de solidarité et de persévérance.

Alexandra Dagenais, Études cinématographiques

 

J’étais à la manif contre le Plan Nord et ça a bien dégénéré. Quand on a décidé de partir des alentours du Palais des
congrès, on a croisé une ligne de policiers. Tu sais le genre de policiers qui n’ont pas de bouclier, ni de gilet de protection. Des policiers normaux. On est resté pendant quelques secondes. Eux aussi nous regardaient sans rien faire, quand on a entendu: «On est bien plus nombreux qu’eux!». Une roche a volé vers les policiers, ensuite une deuxième puis une pluie de roches s’est abattue sur eux. Ils se sont mis à courir apeurés et nous leur courrions après. Finalement, ils se sont cachés derrière des policiers de l’antiémeute. Ils se sont mis à nous charger. On a virevolté à 180 degrés et on s’est sauvé. On a couru pendant longtemps. C’était très drôle.

Anonyme

 

Le jour de l’adoption de la loi 78, j’ai participé à la manifestation de soir du mouvement de grève. Nous étions des dizaines de milliers à marcher dans les rues. Au début, les policiers étaient très agressifs. Arrivée à l’intersection des rues Sherbrooke et Saint-Denis, une grosse partie de la manifestation s’arrête et, pour une raison que j’ignore encore, allume un feu en plein milieu de l’intersection avec des cônes orange et du bois. Nous avons commencé à danser autour du feu. L’ambiance était à la fête. Des gens sortaient même des bars pour nous rejoindre. Les policiers sont restés à l’écart pendant près d’une heure, à regarder de loin le brasier. Ils sont finalement rentrés dans le tas et ont dispersé la foule, pénétrant dans les bars pour aller chercher des manifestants. Puis, les pompiers sont arrivés pour arrêter le brasier. Belle façon de souligner la loi 78!

Maxime Banel, Histoire

 

Je pense que je garderai toujours en mémoire l’action « sapin de Noël » qu’on a mené. Mireille Mercier-Roy, mon externe à l’époque, a dû trouver une centaine de sapins de Noël dans la nuit. Pour les transporter, ça a été l’horreur. Une fois sur place, on essayait de les décorer de boules et de guirlandes de Noël. Il faisait froid, on s’entêtait à vouloir décorer les sapins sur lesquels rien ne voulait s’accrocher. C’était une des pires actions qu’on ait pu organiser.

Stéfanie Tougas, ex-secrétaire générale de la Fédération des associations étudiantes du campus de
l’UdeM (FAÉCUM)

 

HEC aussi a connu la grève étudiante. Le 22 novembre dernier, des manifestants sont entrés dans le pavillon principal et se sont introduits jusque dans les couloirs où se donnaient des classes. C’était quelque chose, même CUTV, la station de télé de Concordia, était présente. Les manifestants scandaient des slogans comme «Le capital nous fait la guerre, guerre au capital». Certains étudiants en administration mécontents leur ont répondu en clamant : «Les grévistes devraient aller à l’UQAM, à l’UQAM, à l’UQAM!»

Francis Juneau, BAA HEC Montréal

 

C’était le jour où une pluie d’injonctions s’est abattue sur l’Université. Personne ne savait si les cours allaient se donnerou non, nous avions tous un peu peur. Les étudiants étaient partagés entre faire respecter le mandat de grève ou perdre des cours. Il y avait des lignes de piquetage devant un cours de science politique. Les lignes ont dû se tasser et laisser les élèves entrer. Les piqueteurs sont entrés dans la classe et l’alarme d’incendie a retenti aussitôt. Certains étudiants ont essayé de tout faire pour que le cours ait lieu malgré tout. C’était une ambiance tendue et difficile à vivre. Les gens ont commencé à s’énerver. Le professeur, désemparé, a regardé la sécurité entrer de force dans le local avec l’alarme d’incendie qui sonnait toujours. Le cours continuait tout de même, mais personne ne suivait. Certains en sont venus aux menaces et presqu’aux poings. Finalement, le directeur du département est intervenu et a annoncé que le cours était annulé.

Dan Abecassis, Science politique

 

 

Propos recueillis par J. Arthur White et Jasmine Jolin

 

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