L’étudiante au baccalauréat en psychoéducation à l’UdeM Laura1 a été victime de violence conjugale lors d’une relation de trois ans avec un garçon, de ses 17 ans à ses 20 ans. « C’est après la première année que la violence est arrivée », livre la jeune femme. Elle précise qu’elle a subi deux fois des violences physiques et que le reste du temps, la violence était morale, à coup de reproches et d’humiliations. « C’était un cercle vicieux, parce que dès que je m’éloignais, il revenait, il pleurait, et comme moi j’étais attachée, je pardonnais, et ça recommençait », se rappelle-t-elle. Laura a mis fin à cette relation il y a deux ans.
« Chez les jeunes, les risques de victimisation sont plus élevés pour l’ensemble des manifestations criminelles, et les comportements violents sont aussi plus fréquents, souligne le professeur agrégé en criminologie à l’UdeM et chercheur associé au Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, Frédéric Ouellet. La violence conjugale n’échappe pas à ce phénomène global. »
Selon les statistiques de 2015 du ministère de la Sécurité publique du Québec, 21 % des victimes d’infractions commises dans un contexte conjugal sont âgées de 18 à 24 ans. Cette tranche d’âge est ainsi la deuxième la plus touchée après celle des 30-39 ans, qui représente 29,7 % des victimes.
La travailleuse sociale et responsable du soutien clinique et de la formation à l’organisme SOS violence conjugale, Claudine Thibaudeau, soutient que cette violence peut être causée durant la jeunesse par manque de développement personnel. « On n’arrête pas d’évoluer à 18 ans, explique-t-elle. On continue toute notre vie à grandir, à s’enrichir. En vieillissant, on s’assagit, ce qui pourrait expliquer en partie un taux de violence plus élevé durant la jeunesse. »
Mme Thibaudeau expliquerait également cette prévalence chez les jeunes par la mise en place des rapports de domination au sein du couple. « La violence conjugale sert à imposer un rapport de pouvoir : une personne décide tout et l’autre obéit », détaille la travailleuse sociale. D’après elle, ce schéma est plus fréquent entre 18 et 24 ans, puisqu’à un âge plus avancé, ce rapport est souvent déjà installé.
La victime agirait alors de manière à éviter de mettre en colère son agresseur, dans le but de réduire les conflits. Toujours selon les statistiques du ministère de la Sécurité publique du Québec, la part des 40-49 ans parmi les victimes d’infractions commises dans un contexte conjugal tombe à 18,3% et la part des 50-59 ans diminue à 7,9%.
M. Ouellet avance que les formes de violences sont diverses et diffèrent d’un couple à l’autre. « Si on prend l’échantillon de 75 femmes avec lequel je travaille, les patrons de violence qu’on obtient sont complètement éclatés, précise-t-il. Il y a des mois sans violences, des mois avec violences économique et sexuelle, puis avec violences économique et psychologique sans violence sexuelle. » Le chercheur ajoute que le degré d’intensité de ces violences peut également varier d’une période à l’autre.
Les 18-24 ans seraient les plus touchés par les enlèvements et les séquestrations dans un contexte conjugal. Les statistiques dévoilent en effet que 53 % des enlèvements touchent les 18-24 ans, contre 26,7 % pour les 30-39 ans, et 32,5 % des séquestrations concernent des victimes âgées de 18 à 24 ans, contre 24,9 % concernant les 30 à 39 ans.
La violence psychologique
D’après Mme Thibaudeau, la violence conjugale serait souvent psychologique chez les jeunes. Elle se manifeste par le verbal et notamment par les messages textes, le téléphone étant le principal outil de communication chez les jeunes adultes. Selon elle, les insultes et les menaces deviennent alors plus difficilement reconnaissables par les victimes. « Les gens vont avoir le réflexe de croire que ce n’est pas violent, que c’est juste quelqu’un qui a un caractère intense, ce qui mène à la banalisation de ces formes de comportement, explique la travailleuse sociale. Ceci fait en sorte que les victimes ne reconnaissent pas la violence de ces actes et que les agresseurs n’ont pas de raisons de se sentir obligés d’arrêter. » Cette situation peut mener à des formes de violence plus sévères, d’ordre physique et sexuel.
Laura a reçu des messages téléphoniques violents. « Il y avait des messages où il m’insultait, il y en a eu tellement que je ne me souviens pas d’un message précis, révèle l’étudiante. Quand je les recevais, ça me rendait vulnérable et je me sentais coupable. » L’étudiante considère que cette violence écrite peut davantage affecter que la violence orale. « Avec les textos, je pense que la violence reste matériellement, car on peut les relire, et donc encore culpabiliser, alors qu’en face à face, on peut oublier ce qui a été dit exactement », avance-t-elle.
19,5 % des appels téléphoniques indécents ou harcelants de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint sont subis par des jeunes de 18 à 24 ans, ce qui fait d’eux la troisième tranche d’âge la plus touchée après celles des 30-39 ans (27,4 %) et des 40-49 ans (22 %), selon les statistiques du ministère de la Sécurité publique du Québec.
« C’est pas violent ! »
SOS violence conjugale a créé la plateforme interactive « C’est pas violent ! », qui simule des conversations textes avec un partenaire agressif. Cet outil a pour but de placer les utilisateurs dans les souliers de la victime et de leur apprendre à mieux reconnaître la violence conjugale. Ils ont l’option de choisir une réponse à destination du partenaire agressif, jusqu’à ce que la conversation se termine pour laisser place à des fiches informatives sur les formes de violence présentes dans la conversation.
« Dans les trois semaines qui ont suivi le lancement de cette campagne, on a reçu une quinzaine de demandes supplémentaires par jour à SOS violence conjugale, annonce Mme Thibaudeau. Aussi bien des victimes que des agresseurs sont venus vers nous. » Selon elle, ce chiffre est significatif, dans la mesure où l’organisme reçoit en moyenne 80 demandes par jour.
Se faire aider à l’Université
Des mesures sont également mises en place à l’UdeM pour soutenir les victimes. La secrétaire générale de la FAÉCUM, Sandrine Desforges, mentionne les consultations offertes sur le campus. « La FAÉCUM envoie les étudiantes et les étudiants aux prises avec ce genre de situation vers le Bureau d’intervention en matière de harcèlement (BIMH), qui est davantage outillé pour les aider, détaille-t-elle. Pour les considérations de santé, qu’elle soit physique ou psychologique, on recommande alors le Centre de santé et de consultation psychologique (CSCP). »
La campagne de sensibilisation « Sans oui, c’est non ! », présentement en cours, porte également sur la démystification de la violence à caractère sexuel au sein des couples.
Selon Laura, pour que cette aide soit efficace, il faut que la victime accepte d’abord de se confier. « Je ne suis pas allée chercher de l’aide à l’Université, parce que sur le moment, même si je souffrais, je n’avais pas l’impression que c’était si grave que ça, pas assez en tous cas pour en parler à ce genre de service », précise l’étudiante. Laura estime que c’est le manque de sensibilisation, plutôt que son jeune âge, qui l’a empêchée de reconnaître la situation qu’elle vivait.
1. Nom fictif, l’étudiante préférant garder l’anonymat.
2. Ministère de la Sécurité publique du Québec, statistiques de 2015.