Quartier Libre (Q. L.) : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de devenir journaliste ?
Améli Pineda (A. P.) : Jusqu’au cégep, je n’étais pas certaine de ce que je voulais faire. Alors quand le moment d’effectuer les demandes d’admission à l’université est arrivé, j’ai postulé au baccalauréat en journalisme à l’UQAM, parce que j’avais l’impression que c’était une profession qui me permettrait de toucher à tout sans jamais avoir de routine. Je suis aussi quelqu’un de curieux et débrouillard, qui aime poser des questions, ce qui est la base du métier de journaliste.
Q. L. : Que pensez-vous qu’une formation universitaire en journalisme vous a apportée, par rapport à celles et ceux qui ont étudié dans d’autres domaines avant de se former sur le terrain ?
A. P. : Étudier le journalisme à l’université m’a donné un avant-goût de la profession, avec une première confrontation à la réalité du terrain. Le cours de presse quotidienne, dans lequel le groupe simulait une salle de rédaction, reste celui qui m’a été le plus utile. En devant réaliser un journal en une journée, avec des assignations sur le terrain, nous avons eu un aperçu de ce qui nous attendait dans la vie professionnelle. Les journalistes qui ont étudié dans une autre discipline ont l’avantage d’être des spécialistes dans leur domaine, quand j’étais capable d’être généraliste avec ma formation en journalisme.
Q. L. : Avez-vous contribué à des médias étudiants pendant vos études ?
A. P. : J’ai contribué quelques fois au Montréal Campus et au journal des étudiants en journalisme de l’UQAM, qui s’appelait l’Esprit simple, mais sans y être très impliquée. Je me suis toutefois davantage formée à travers les stages, en côtoyant des équipes de gens qui avaient du métier. J’y ai été réellement exposée au métier de journaliste, ce qui m’a permis de prendre confiance en moi pour obtenir des témoignages ou poser des questions en conférence de presse.
Q. L. : Que pensez-vous que les médias étudiants ont à apporter à l’écosystème des médias du Québec ?
A.P. : Dans les dernières années, plusieurs reportages publiés dans des médias étudiants ont suscité des réactions. Je pense que leur présence est indispensable dans la communauté étudiante pour s’assurer que rien ne passe sous les projecteurs dans les établissements. De plus, ils permettent aux étudiants de découvrir l’univers médiatique et d’y faire leurs premiers pas, en réalisant de petites enquêtes ou des entrevues, par exemple. Je pense donc que les journaux étudiants sont aussi importants pour la vie démocratique des universités que pour la formation des futurs journalistes.
Q. L. : Vous être maintenant spécialisée dans la couverture de la politique municipale et des affaires judiciaires. Qu’est-ce qui vous a amenée à choisir cette orientation ?
A. P. : Je travaille au Devoir depuis 2017, qui est l’année où le mouvement #MoiAussi a débuté. Je remplaçais une collègue le jour où le mot-clic s’est emparé des médias sociaux, et ça a vraiment orienté ma carrière. J’ai ainsi réalisé une première enquête sur les violences sexuelles, qui portait sur Gilbert Rozon, puis les dossiers en lien avec ce sujet m’ont été confiés de plus en plus. Ensuite, j’ai commencé à également faire des enquêtes sur les violences conjugales et, en 2020, j’ai rejoint la division « enquête » du Devoir à sa création. En 2024, c’est un luxe d’avoir autant de temps pour creuser des sujets et de savoir que mon travail va avoir un impact.
Q. L. : Les enseignants en journalisme disent souvent qu’il faut trouver ce qui nous différencie des autres journalistes, ce qui fait notre force. À votre avis, qu’est-ce qui fait de vous une journaliste qui a su se faire sa place ?
A. P. : Ma débrouillardise. Par exemple, je ne connaissais rien au système judiciaire quand je suis arrivée au Devoir, mais j’ai vu que personne n’était affecté aux affaires judiciaires, alors je suis allée au Palais de justice pour en comprendre le fonctionnement et me faire des contacts. J’ai pu ramener des sujets que personne n’avait et me différencier dans la rédaction. Mon désir de comprendre m’a également distinguée, en me poussant à poser des questions, même si je ne connaissais pas le sujet, parce que le métier de journaliste, c’est de poser des questions pour obtenir des réponses.
Mes collègues me décriraient aussi comme une personne très observatrice, mais sans laisser mes opinions paraître. Je suis très attachée aux faits, et au fait de raconter les histoires de façon équilibrée.
Q. L. : Vous avez marqué le mouvement #MoiAussi au Québec, notamment avec une enquête sur l’humoriste Julien Lacroix, qui a été reprise par deux journalistes de La Presse et du 98.5 deux ans plus tard. Comment avez-vous vécu cette période et le fait de voir des consœurs remettre en question votre travail publiquement ?
A. P. : J’ai été étonnée et préoccupée de la parution de l’article, comme indiqué dans ma plainte au Conseil de presse du Québec, parce que j’ai l’impression que le public a été induit en erreur. Le travail du Devoir est maintenant perçu comme problématique, alors que l’enquête serait republiée telle quelle aujourd’hui. De plus, j’ai eu l’impression d’avoir été prise au piège. Comme le respect des sources constitue le principe numéro un du journalisme d’enquête, je ne pouvais pas répondre aux questions qu’on me posait à leur sujet. Mais ce que je retiens de toute cette histoire, c’est que le public retire une impression erronée de l’enquête, alors que le travail des journalistes doit se centrer sur les intérêts du public.
Q. L. : Pensez-vous que la concurrence accrue entre les médias va amener à davantage de démarches de la sorte ?
A. P. : Je ne pense pas, parce que tous les médias qui ont des équipes d’enquêtes ont des conseillers juridiques et savent qu’on ne publie pas une enquête sans qu’elle soit vérifiée. Le Devoir n’a pas fait autrement que tous les autres grands médias dans ce dossier, et La Presse le sait. Contre-enquêter sur le travail d’un collègue n’est pas quelque chose d’habituel, et je n’espère pas que ça le devienne, parce que c’est le public qui est perdant.
Q. L. : Cette année, vous êtes porte-parole des Semaines de la presse et des médias de la FPJQ. Pourquoi avoir accepté ce rôle ?
A. P. : En tant que journaliste, c’est le plus beau rôle qu’on puisse avoir. Même en étant passionné, engagé et dévoué pour notre métier, on constate que les gens ont une méconnaissance du métier et que la fiction n’en donne pas toujours une bonne image. Pour moi, ce rôle permet d’ouvrir la porte au public pour lui montrer tout ce qui se cache dans l’ombre, et la rigueur qui précède la publication des articles.
Pendant la dernière année, plusieurs enquêtes importantes ont vu le jour, comme celle du Journal de Montréal sur les dépenses de l’Office de consultation publique de Montréal, celle de Radio-Canada sur le milliardaire Rober Miller, ou celle du Devoir sur les surdoses de stimulants dans le contexte de crise des opioïdes. Les semaines de la presse et des médias permettent de rappeler le rôle essentiel des journalistes.
Q. L. : Pour finir, auriez-vous des conseils pour toutes celles et ceux qui souhaitent se lancer dans une carrière de journaliste malgré le climat morose ?
A. P. : Pendant mon baccalauréat, entre 2009 et 2012, on m’a aussi dit que trouver un emploi et gagner de l’argent allaient être difficile, mais notre travail reste essentiel, et les enquêtes le démontrent. Bien que les premières années dans la profession ne soient pas toujours saines, parce qu’il faut se faire sa place, le métier de journaliste reste le plus beau, selon moi.