Allons enfants qui s’expatrient

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Par Sarah Champagne
mardi 17 avril 2012
Allons enfants qui s'expatrient
Les jeunes Populaires sont environ 120 à Montréal, dont 40 % d'étudiants pour la plupart d’HEC. De gauche à droite, Thibault Duval, Jean-Jacques et Alia. (Crédit : Pascal Dumont)
Les jeunes Populaires sont environ 120 à Montréal, dont 40 % d'étudiants pour la plupart d’HEC. De gauche à droite, Thibault Duval, Jean-Jacques et Alia. (Crédit : Pascal Dumont)

On n’abandonne pas si facilement la France à son destin électoral, même de l’autre côté de l’Océan. En échange universitaire ou bien installés, beaucoup d’étudiants français qui vivent à Montréal voteront aux élections présidentielles et législatives des 22 avril et 2 juin prochains. L’engagement politique ne s’arrête pas à la douane.

Non seulement beaucoup des Français de passage au Québec se rendront aux urnes, mais certains importent même leur militantisme. Pour Clémence Bourillon, vivre à Montréal a été l’occasion de prendre des responsabilités à la section montréalaise du Parti socialiste (PS). Française en échange étudiant à l’Université McGill, elle dirige la campagne jeunesse pour Corinne Narassiguin, la candidate au poste de député dans la circonscription nord-américaine (voir encadré).

L’affiliation au PS de Mme Bourillon ne date pas de son séjour à Montréal. « J’avais déjà ma carte de membre du parti depuis quatre ans », relate-t-elle, mais surtout elle s’est sentie « vraiment bien accueillie par l’organisation à Montréal ». Elle a eu de la chance que son séjour coïncide avec la période des élections. Même scénario pour Guillaume Allenet, étudiant en science politique à McGill lui aussi militant au PS, et pour qui le véritable engagement a également commencé cette année à la faveur de la campagne.

De leur point de vue, les préférences politiques ne sont pas influencées par le fait de vivre à l’étranger, mais l’expatriation peut enrichir l’horizon politique. « Je me suis rendu compte qu’on peut s’inspirer de plein de mesures, que l’échange est important pour avoir les meilleures idées », explique Mme Bourillon. M. Allenet pense quant à lui que « le climat social tendu [actuellement] pousse à s’intéresser au politique », mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité en tête. Ils retournent tous deux en France bientôt, mais leur engagement politique se poursuivra.

François Lubrina dirige au Québec la campagne de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti du président-candidat. Il vit avec Nicolas Sarkozy dans ses murs, car les locaux de permanence du parti sont à son domicile de Montréal.

 

Mère patrie

Les étudiants français qui vivent au Québec depuis plus longtemps votent eux aussi. « On ne va tout de même pas renoncer au fromage et au pinard comme ça! » affirme Mélanie Cambrezy, doctorante en science politique à l’UdeM. Lancé à la blague, cet aveu d’attachement à la France montre tout de même que l’identité est une motivation politique importante. « La plupart des expatriés n’excluent pas un retour en France », explique Cédric Pellen, Français et postdoctorant au Centre d’excellence sur l’Union européenne. « Ce n’est pas une immigration de nécessité, et la majorité a encore de la famille là-bas », explique-t-il.

Voter ou ne pas voter, telle est la question

Laurence Martin, une étudiante à la double nationalité franco-canadienne installée au Québec depuis sa naissance, confirme sa double identité. « J’aimerais peut-être travailler en France un jour », dit-elle. Elle avoue toutefois ressentir un certain malaise « à avoir un droit de regard alors que les politiques n’ont aucun impact sur [sa] vie ». Elle ne sait donc pas encore si elle exercera son droit de vote, malgré la pression familiale : « Mes grandsparents qui vivent en France sont très politisés et ils aiment me rappeler que chaque vote compte. »

Arnaud Delmas Barbet, étudiant français établi au Québec depuis deux ans et demi et « pour y faire [sa] vie », a quant à lui choisi de ne pas voter. Il ne voit pas nécessairement les deux engagements politiques comme incompatibles, mais il exprime surtout un certain ras-le-bol de la politique française et de Nicolas Sarkozy. « Je préfère m’intéresser à ce qui se passe au Québec, je me sens l’identité du pays où je me trouve », justifie-t-il en espérant pouvoir obtenir rapidement son droit de vote ici. Pour lui, vivre ailleurs signifie couper les ponts électoraux avec sa patrie d’origine.

Pour d’autres, pas question de rater une seule occasion de voter. « Au-delà de l’attachement à la France, je veux tout simplement participer à la vie politique d’au moins un pays », explique Marie Kouassi, une étudiante française en séjour d’études à l’UdeM et qui vit en Allemagne.

Guillaume Allenet et Clémence Bourillon étudient en arts et sciences à McGill.

 

Boule de cristal électorale  

Deux professeurs de sciences politiques à l’UdeM, Richard Nadeau et Martial Foucault, ont publié début 2012 aux Presses de Sciences Po Le vote des Français de Mitterrand à Sarkozy 1988-1995-2002-2007. Si l’on s’y fie, les électeurs les plus éduqués ont tendance à voter davantage pour les candidats centristes et ceux de la gauche modérée. Les candidats de la droite recueilleraient systématiquement plus de voix chez les électeurs âgés de 40 ans et plus. Les étudiants, jeunes et éduqués, pencheraient donc plus à gauche, mais le livre précise que les caractéristiques sociologiques se combinent avec les enjeux d’actualité et l’image des candidats pour influencer le vote.

Selon Cédric Pellen, qui conduit une recherche sur la campagne des élections législatives dans la circonscription extraterritoriale (voir autre encadré), on connaît peu le profil de la population française expatriée, car « elle est dispersée dans un vaste territoire et pas du tout homogène ». Encore moins sur un groupe aussi précis que les étudiants français au Québec : impossible de dire combien des 9000 étudiants enregistrés au consulat général de France à Montréal sont inscrits pour voter. Toutefois, « les Français qui vivent à l’étranger votent historiquement à droite », rappelle-t-il.

Chez les expatriés encore plus qu’ailleurs, la science électorale n’est pas une science exacte.

 

Bisbille territoriale  

Les Français qui vivent à l’étranger constituent aujourd’hui un véritable électorat. La France divise désormais le reste du monde en circonscriptions électorales dites extraterritoriales. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire, les Français établis au Canada et aux États-Unis – territoire formant la circonscription numéro 1 – pourront élire leur député aux élections législatives du 2 juin prochain.

Seule ombre au tableau, le gouvernement Harper refuse catégoriquement qu’un député représente le territoire canadien en France, y voyant une « question fondamentale de souveraineté », selon les déclarations du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, qui énonce clairement sa position sur son site Web: « le gouvernement du Canada continuera de refuser en principe toute demande d’autres États d’ajouter le Canada à leurs circonscriptions électorales extraterritoriales respectives ». Le Canada est le seul pays au monde qui refuse le vote pour élire un député extraterritorial français.

Le vote reste cependant possible dans les consulats et les ambassades, qui jouissent d’une pleine immunité diplomatique. Il reste que cet espace est très limité pour permettre d’accueillir les 45 000 ressortissants inscrits au Québec sur les listes électorales françaises. Le consulat de France à Montréal invite donc à voter par correspondance, par Internet, ou encore par procuration. Les élections présidentielles se dérouleront quant à elles en sol canadien. À Montréal, le bureau de vote sera installé au collège Stanislas d’Outremont.