Adopter le tempo du milieu professionnel

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Par Emmalie Ruest
mardi 11 avril 2023
Adopter le tempo du milieu professionnel
Jean-François Rivest (à gauche), en répétition avec l’Orchestre de l’UdeM. Crédit : Juliette Diallo.
Jean-François Rivest (à gauche), en répétition avec l’Orchestre de l’UdeM. Crédit : Juliette Diallo.
La fin des études en musique classique est un stress important chez les finissant·e·s. Tellement que certain·e·s choisissent de poursuivre leurs études plutôt que de se lancer à temps plein dans le monde professionnel. Rencontre avec un finissant et deux diplômé·e·s de la Faculté de musique pour aborder les défis que pose la fin de leur parcours universitaire.

Le contrebassiste William Boivin s’apprête à terminer son D.E.S.S. en musique – Répertoire d’orchestre à la fin du mois d’avril. Il a une petite idée de ce qui l’attend. Après avoir fini sa maîtrise en musique orchestrale à McGill en 2021, il a en effet fait l’expérience du monde professionnel à temps plein pendant un an et s’est alors vite rendu compte que trouver du temps pour nourrir sa passion et se développer comme musicien en enchaînant les piges peut être difficile.

Une fois pris dans le monde du travail, s’attarder sur autre chose que ses différents contrats et continuer à lire des textes théoriques comme ceux découverts à l’université devient complexe. La tentation de saisir toutes les occasions qui se présentent est forte et l’énergie peut manquer à la fin des journées. « Faire ce diplôme va m’avoir discipliné pour garder une balance plus saine dans ma vie », déclare William Boivin, en envisageant la fin de son parcours.

Le contrebassiste William Boivin va terminer son D.E.S.S. en musique – Répertoire d’orchestre au mois d’avril. Crédit : Juliette Diallo.

La rupture universitaire

Contrairement à d’autres disciplines, « tous les jeunes musiciens qui commencent un baccalauréat ont passé l’audition et sont déjà compétents dans leur instrument », affirme le professeur de direction d’orchestre et chef de l’Orchestre de l’UdeM, Jean-François Rivest. Ainsi, l’enjeu de la transition vers le marché du travail ne repose pas tant sur le fait d’être doué·e, mais plutôt sur « la rupture avec l’université ».

Selon M. Rivest, également premier chef invité de l’orchestre de chambre I Musici de Montréal, la transition vers le monde du travail peut causer un stress menant même certain·e·s étudiant·e·s à « rester dans la sécurité du giron universitaire » en enchaînant les diplômes. L’étudiante en troisième année au baccalauréat en musicologie Nour Amjahdi partage cet avis. « Dans le monde de la musique, j’ai l’impression que tout le monde est surqualifié », confie-t-elle.

En réalité, la compétition et la surqualification se nourrissent mutuellement. Se tailler une place dans un orchestre, gage de stabilité, n’est donc pas une mince affaire. William révèle avoir, par exemple, passé une audition pour un poste dans l’Orchestre de Toronto. Ils étaient environ 120 contrebassistes de différentes provenances à auditionner pour celui-ci. « Moi, ça a duré deux minutes et demie », révèle-t-il, ajoutant que la grande majorité des musicien·ne·s ont été coupé·e·s dans leur prestation après ce cours délai.

Réforme majeure en cours

La majorité des personnes interrogées par Quartier Libre s’entendent pour dire que la Faculté pourrait faire mieux sur le plan de la préparation à l’insertion dans le monde du travail. Le titulaire d’un doctorat en direction d’orchestre de l’UdeM, Pascal Germain-Berardi, est clair sur ce point. « Certains professeurs vont vraiment t’emmener à la rencontre de personnes du milieu, alors que d’autres le feront beaucoup moins », souligne-t-il. « L’école ne montre pas tant comment le fait de se monter un réseau de contacts, c’est important », ajoute William Boivin.

Pascal Germain-Berardi, diplômé au doctorat en direction d’orchestre (2021), prépare son prochain concert avec son OBNL, Temps fort. Crédit : Emmalie Ruest.

Le compositeur et professeur agrégé à la Faculté de musique Pierre Michaud explique que dans le cadre de consultations menées auprès « des étudiants et diplômés pour réformer les programmes, la préparation au milieu professionnel est quelque chose qui est ressorti énormément ». Il ajoute que la Faculté travaille actuellement sur l’une « des réformes les plus importantes » qu’elle ait jamais connues. Selon ses dires, presque tous les programmes sont en restructuration.

M.?Michaud précise que dans la mesure où cette Faculté « forme essentiellement des pigistes », des ateliers à 1 crédit qui permettent de développer des atouts propres au métier, comme la communication Web ou des notions d’enregistrement audiovisuel, sont offerts depuis l’automne 2022. Pour l’instant, cinq ont été créés, mais d’autres s’ajouteront, dans le but d’avoir « une offre intéressante en rotation ». Les activités, qui portent des sigles chiffrés 4000, se présentent sous la forme de séminaires de 15 heures qui se donnent souvent en début de trimestre. Ceux-ci seront « offerts dans tous les programmes, du premier cycle jusqu’au doctorat ».

L’après-études : vivre des piges variées

L’artiste sonore Véronique Girard, titulaire d’un baccalauréat en musique numérique de l’UdeM, est agréablement surprise de pouvoir vivre de son art depuis la fin de ses études. « Pour l’instant, je vis bien dans un cadre que je définis et qui n’est pas défini par l’école », affirme-t-elle. D’abord attirée par le chant classique, elle s’est heurtée à un mur au moment des auditions à l’UdeM, ce qui l’a poussée vers la musique numérique, une réorientation qu’elle ne regrette aucunement aujourd’hui.

« Je savais que j’avais besoin de m’exprimer avec le son », confie-t-elle. Ses expertises variées dans différents domaines artistiques et professionnels sont aujourd’hui des atouts appréciés, notamment chez des organismes en musique classique avec qui elle a travaillé. « Dans les qualités que ça prend pour être un musicien moderne, je pense que la polyvalence, c’est bien important », souligne M. Rivest.

M. Germain-Berardi réussit lui aussi à vivre de la musique, fort de ses années d’expérience de chant. Ancien choriste des Petits Chanteurs du Mont-Royal (PCMR), il a été pigiste pour l’Opéra de Montréal et le chœur de métal Growlers Choir, et a fait une apparition médiatisée à la télé-réalité America’s Got Talent. Son souhait pour le futur serait tout de même de travailler à la direction d’orchestre, que ce soit pour un orchestre de région ou pour son organisme, Temps fort.

Pour sa part, William Boivin espère éventuellement pouvoir décrocher un poste en orchestre. D’ici là, il confie être prêt à poursuivre la pige. « Il y a des manières de s’arranger, si tu es un peu flexible dans ta définition de ce qu’est un musicien », assure-t-il. Lui-même est déjà membre d’un orchestre des Forces armées canadiennes et enseigne au Cégep de Lanaudière, à Joliette. Il sait bien que vivre de la musique peut signifier plusieurs choses, mais que l’important est de garder cette curiosité et cette passion d’apprendre, même en dehors des murs de l’Université.